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“Dans la musique africaine , l'humour reste un genre peu couru d'où l'ampleur de son impact. Satire sociale, politique, humour grivois ou provocateur, la chanson est autant le révélateur des maux de l'Afrique actuelle qu'une méthode efficace de les dédramatiser....”

Le double sens : une tradition populaire

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A Zanzibar, quand on chronique la vie sociale et ses éternels travers, c’est avec un zest d’humour et un art consommé du double sens qui permet de respecter les convenances et de développer un sens aigu de la langue. C’est ainsi que Bi Kidude, grande chanteuse de taarab, s’est forgée une réputation légendaire, au fil de petits mots coquins et d’images drôles qui content par touches les petits potins de l’île. «~Comment vais-je pouvoir faire sans ma cuillère ? Qui me l’a volée ? J’ai besoin qu’on me la rende avant que le riz ne colle ?~» (la cuillère représentant le mari) chante-t-elle notamment dans une formule à double sens qui ne «~trompe~» personne. Cette technique du langage voilé se retrouve dans beaucoup de musiques populaires. Pratiqué de manière générale par les griots, il est particulièrement travaillé en Ethiopie, chez les azmaris, ces griots amhariques passés maîtres depuis des siècles dans l’art du «~khêné~» devenu au delà de la simple chronique sociale, le fer de lance de la critique politique . Corrosif, puissant sous son apparente légèreté, il a fait aussi les beaux jours du zendani, le répertoire citadin algérien, musique métisse du XIX° siècle qui exprimait à mots couverts une forme de résistance à la colonisation «~Aïe, Aïe, que faire contre lui, Hadj Guillaume, sa fortune monte. Quand nous arrivâmes en France meurtris, en bouillie comme des pommes de terre, on nous fit monter dans un chaland. Aïe, Aïe, que faire contre lui, El Hadj Guillaume voit monter son étoile~», chantait toute l’Algérie, Hadj Guillaume symbolisant sur le mode de la dérision et de l’ironie, l’espoir d’une libération et une revanche symbolique sur la colonisation représentée par le kaiser prussien. Dans les années trente, Ksentini se taillait une solide réputation en ironisant dans un style comique troupier sur les tartuffes, les politiciens musulmans et les parvenus. Soixante ans plus tard, le style renaît grâce à Baaziz qui énumère dans un titre très populaire baptisé «~Pauvre algérien~» (chanté sur la musique du titre «~Pauvre Martin~» de Brassens) tous les maux qui frappe le citoyen dans la société actuelle : chômage, pénurie, violence…

La chanson humoristique : un genre direct et récent

La satire politique reste une des formes privilégiées de l’humour actuel véhiculé par un genre relativement récent, la chanson, inaugurée par Francis Bebey. Après «~Agatha~» qui contait l’histoire d’un mari trompé découvrant son infortune par la couleur de son enfant, métisse, le chanteur camerounais dénonçait dans «~Nos Ancêtres les gaulois~» , le ridicule et le racisme de l’enseignement colonial. Chez le congolais Zao, la satire politique devient cruelle quand elle dépeint sous une forme caricaturale renforcée par le français «~petit nègre~» du narrateur faussement naïf, la situation des tirailleurs sénégalais («~tout le monde cadavéré~») envoyés à la boucherie dans une guerre qui ne les concernait pas. La chanson devient plus tard caustique : «~Nous pas bouger~» , chante ainsi Salif Keïta en réponse aux expulsions qui frappent la communauté malienne de France relayé par le sénégalais Wasis Diop qui, dans son récent titre «~Samba Berger~» distille quelques fines piques du même cri, «~Samba n’aime pas les charters. Ce n’est pas qu’il soit fier. C’est juste qu’il trouve que c’est un trop grand honneur de voyager avec des gardes du corps~». «~Douce France~» répondent les membres du groupe algérien «~Carte de Séjour~» détournant le titre de Charles Trénet de sa vocation initiale : le propos était bien ici de montrer avec ironie l’ambiguité de la situation de la deuxième génération, née en France mais mal acceptée. La jeunesse est également au coeur du propos d’Alpha Blondy qui dépeint sur le ton de la dérision dans «~Brigadier Sabari~» les tracasseries policières qu’endure la jeunesse ivoirienne. Le gabonais Hilarion Nguema préfère chanter la «~Crise Economique~». Sur un ton qui frise la caricature, il y interpelle les différents chefs d’Etat , répétant dans un refrain «~Crise, conjoncture, c’est la sécheresse des ventres~». Héritier proclamé de Francis Bebey, Donny Elwood défend les pygmées menacés dans un style parodique : «~Je suis né sous un grand palétuvier, me dents ont aussitôt été taillées. Pour mieux croquer du gibier boucané car un pygmée, c’est un grand carnassier. Rien n’a changé depuis l’Antiquité dans la civilisation des pygmées. Quand un civilisé vient voir un pygmée, c’est toujours pour lui demander du gibier. Pour me flatter, il me donne des vêtement usés, promet qu’il viendra me vacciner, pour me protéger contre la mouche tsé tsé~».

Une peinture des bouleversements sociaux

Tour à tour incisif, caricatural, satyrique, parfois cruel, le chansonnier nous décrit avec humour les bouleversements d’une société confrontée à de nouvelles donnes. «~En 1975, année de la femme, j’ai imaginé un reportage, explique Francis Bebey, un couple d’africains avec l’homme très heureux d’avoir sa femme africaine docile, aux petits soins pour lui et la femme qui évoluait, à qui on venait de dire que c’était l’année de la femme, que les femmes africaines avaient une vie dure, qu’elles ne pouvaient pas continuer comme ça~».
Cela donnera un des plus célèbres chansons d’humour, «~Condition féminine~» . «~Je lui dis, chérie, va me chercher de l’eau. Elle me parle de condition féminine et elle me dit « Va chercher l’eau toi-même ». Alors je l’ai bien battue, pour lui montrer ma condition masculine~», dit la chanson.

La grivoiserie

L’humour s’est également attaqué aux tabous que constituent le sexe et l’alcool (pour les pays musulmans). Il devient alors grivois et même provocateur. Dans la société sud-africaine, très puritaine, le morceau «~Pata pata~» composé par Dorothy Masuka qui évoquait les courbes dangereuses des femmes et les désirs d’attouchement qu’elles provoquaient chez les hommes eut un succès colossal tandis qu’en Algérie, le tube du rai chanté par de nombreux artistes dont Chaba Zahouania – «~Mon oncle, O mon oncle~», évoque les relations physiques fréquentes entre nièce et oncle.

Provocateur, ironique, caustique, mais plus souvent satirique, l’humour en musique s’oriente souvent par tradition vers la chronique sociale mais prend de plus en plus la voie du registre politique, souvent brûlant et combien populaire.

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À propos de l'auteur

Sylvie Clerfeuille

Sylvie Clerfeuille