" "
“Dans cet ouvrage de 454 pages, Jean Mpisi nous dresse en onze chapitres un véritable historique de la scène congolaise depuis ses origines jusqu’à nos jours. ”

Tabu Ley Rochereau : innovateur de la musique africaine

"
"


Rédigée dans un style militant et malgré des descriptions par trop systématiques et détaillées des styles et des artistes cités, cette biographie a comme principal mérite de replacer l’histoire du créateur du soukouss dans son contexte culturel, social et politique. On y découvre ainsi à sa naissance en 1940 l’importance de deux grands genres, le highlife ghanéen et la rumba cubaine dont l’auteur nous livre les secrets musicaux et nous détaille les circonstances de l’arrivée au Congo. On retrouve également avec un certain plaisir l’analyse des techniques de la guitare congolaise et l’importance du lingala dans l’édification de la musique congolaise (de nombreux titres phares sont traduits et analysés).

L’auteur s’attache ensuite à dépeindre les années de formation de l’artiste : apprentissage du chant grégorien, influence de la chanson française (Tino Rossi, Gilbert Bécaud) , des cubains (l’Orchestra Aragon et le Trio Matamoros), des artistes africains comme Myriam Makeba dans ses débuts au sein des Skylarks et surtout des pionniers de la scène congolaise comme Léon Bukasa, Henri Bowane mais surtout Wendo et Kabasele qui contribuera largement à lancer sa carrière. Au sein de l’African Jazz du Grand Kalle, Rochereau sera « nègre » (Kabasele s’appropriera certaines de ses compositions) puis chanteur. En dépit des conflits, on retiendra l’amitié étroite entretenue par les deux hommes avec Patrice Lumumba et les textes historiques comme Independance cha cha, Bilombe ba gagne (les plus méritants) chanté le lendemain du discours du héros assassiné ou Mokolo Na Kokufa, complainte à la mémoire des 4 ministres pendus en 1966 sur le Pont Kavu. Le passage dans l’African Jazz sera également fondamental par les rencontres humaines et musicales: Nico, Dechaud, Manu Dibango et bien d’autres.

Dans les chapitres suivants, l’auteur nous décrit l’irrésistible l’ascension du groupe de Rochereau, l’African Fiesta, qui lancera divers courants musicaux comme le soukouss, la rumba rock et le jobs, version congolaise du yéyé. Il évoque également la rivalité artistique et idéologique entre Rochereau l’intellectuel lumumbiste héritier de Kalle et Franco, l’enfant du peuple, proche de Mobutu. Dans ces années fondatrices d’une carrière qui deviendra internationale, l’historien dénonce pourtant les sombres rivalités et la course au vedettariat qui ruineront parfois des rendez-vous historiques (Rochereau ne participera pas au Festival des Arts Nègres de Dakar de 1966). Mais l’auteur évoque également les années glorieuses dont le passage à l’Olympia en 1970 où l’artiste est félicité par de nombreux artistes français dont Claude François puis renvoyé manu militari dans ses foyers par le dictateur Mobutu en dépit d’une prolongation de contrat signé avec Bruno Coquatrix ! ! L’artiste se rattrapera quatorze ans plus tard en triomphant à l’Apollo de New York et en s’offrant une tournée dans plus de 37 pays.

Cet ouvrage nous fait également découvrir des aspects moins connus de la personnalité de l’artiste comme sa carrière de secrétaire administratif au Fonds du Bien Etre Indigène à ses débuts de musicien, sa passion pour le monde des affaires (il fondera plusieurs sociétés dont Spin, une florissante société de distribution de papier), son «~féminisme~» opposé au machisme de Franco qui fera de Mbilia Bel, sa compagne et partenaire, la première femme à chanter à égalité avec des hommes, son engagement pour l’Ethiopie (il reversera en 1986 certains de ses droits pour aider ce pays sinistré) et son intérêt pour la politique qui lui vaudra de nombreuses tracasseries (Mobutu l’interdira à plusieurs reprises de concert et d’antenne) mais prendra une importance grandissante au fil des années au point d’éclipser son goût pour la musique.

"
"
"
"

À propos de l'auteur

Sylvie Clerfeuille

Sylvie Clerfeuille