Un artiste éclectique
Quand Francis Bebey fixait un rendez-vous, il avait horreur des retards, jetait un regard rempli de mépris à l’insolent qui avait osé lui voler de son précieux temps. Son apparence posée cachait un bouillonnement intérieur. Dans l’intimité de son appartement parisien, entre sa collection de musique classique et son home studio, il réalisa des œuvres nombreuses allant de la chanson humoristique (« La condition masculine ») aux pièces de guitare les plus élaborées (« Django Préface ») en passant par ses compositions majeures comme « Africa Sanza ». Barricadé dans sa salle de bains, tôt le matin, il jetait en vrac les idées de ses romans tandis que ses enfants tentaient de saisir, l’oreille collée à la porte, les secrets d’un père si énigmatique.
Entre musique classique et quêtes africaines
Homme exigeant, ascète et facétieux tout à la fois, son acharnement à créer répondait davantage à une quête d’enracinement intérieur qu’à un simple besoin esthétique. C’est d’abord une révolte qui a poussé ce fils de pasteur né à Douala en 1929 à réhabiliter cette identité bafouée, tiraillé entre deux éducations musicales, celle officielle et civilisée symbolisée par Bach et Haendel et celle interdite et « primitive » enseigné par Eya Mouesse, un voisin jouant de l’arc à bouche et de la harpe. Avide chercheur, Francis Bebey n’aura de cesse de faire valoir son concept « d’audition totale » dans une œuvre intégrant musiques du monde, pièces classiques, jazz, chanson et mélodies pygmées.
Une méthode de guitare africaine
C’est en écoutant à la radio le jeu virtuose d’Andres Segovia qu’il découvre les richesses insoupçonnées de la guitare, la transforme en un véritable orchestre. Membre des jurys internationaux de guitare, concepteur d’une méthode de guitare africaine reconnue à travers le monde, Francis Bebey aura réussi à réaliser son vœu le plus cher : contribuer à ce que l’Afrique enrichisse le monde par sa haute technicité et son approche originale de l’art .
Bebey musicologue, romancier et cinéaste
A travers son œuvre, Francis Bebey développera une véritable philosophie. En publiant en 1969 son ouvrage référence sur les musiques traditionnelles, « Musiques d’Afrique », réédité sept fois aux Etats-Unis, il rêve de faire prendre conscience aux africains et aux non africains du caractère total de la création en Afrique. Directeur de la section musique de l’Unesco, journaliste, conférencier, fondateur de cercles d’initiation à la musique africaine dans plusieurs pays d’Europe, auteur de recueils de poésie (« Essais pour un vieux masque »), de nouvelles (« Le petit fumeur »), d’œuvres théâtrales (« Congrès de griots à Kankan ») et surtout de romans (« Le fils d’Agatha Mousso », « L’enfant pluie »), Francis Bebey réinvente la tradition pour l’insérer dans le monde actuel. Il s’essayera même à l’image réalisant dans les années 1970 un long métrage, « Sonate en Ré majeur ».
Le racisme en mémoire
Couronné à de nombreuses reprises pour son œuvre musicale et littéraire, Francis Bebey a lavé l’humiliation gravée à jamais dans sa mémoire d’enfant. « En colère contre les élèves, le directeur de l’école professionnelle de Douala nous avait fait marcher à quatre pattes en nous disant « voilà ce que vous êtes ». A cause de cet imbécile, il m’a fallu des années pour me débarrasser du racisme. »
* Crédits photo : www.bebey.com
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