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“Les griots forment une caste à part, mais ne sont pas seulement les artistes d’un peuple, ils sont les dépositaires, les responsables de la tradition orale, musicale et poétique, car c’est grâce à eux que se transmettent la poésie, la musique et l’histoire, de génération à génération. Les griots sont des gens de la parole, une parole empreinte d’une force de persuasion qui dépasse l’art de dire. Ce qui leur confère un statut social particulier qui, mêlé à leur connaissance et à leur talent, leur donne, dans certaines sociétés, un pouvoir de persuasion sur les individus et un pouvoir occulte.”

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Intro

Le mot « griot » est un terme générique qui se décline sous diverses appellations selon les peuples : « djéli » ou « djali » (mandingue : malinké, bamana, soso (sosso, soussou ou susu), khassonké, soninké, dioula…), « guewël » (wolof), « gawlo » ou « bambado » (peul), « kevel » ou « kewel » (sérère), « lambat » (mandjak, mankagne), « qawal » (arabe), « iggawin » (maure, touareg) ou encore « dan mà-abba » (haoussa).

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En Afrique centrale, on retrouve des « gawlo » ou « bambado » (fulbé, peul) au nord du Cameroun, tandis que dans les deux Congo, le griot s’apparente à l’atalaku qui joue une rôle fondamental dans la rumba , le soukouss , le ndombolo, le kwassa kwassa ou le tchakou libondas (ou tchaku libondas).

Dans le Mandé, le djéli (qui signifie « sang ») fait partie de la famille des « gnamakala » et développe la « djéliya » (la science du griot et l’art de la transmission du savoir par le sang).
Quelques familles sont liées à la caste des griots : les Sissoko (ou Suso), les Guèye, les Diabaté (ou Diabakhaté ou Jobarteh), les Mbaye, les Abba, les Kouyaté, les Mboup, les Wélé, les Koné, les Diouf, les Gourmou, les Samb, les Coulibaly, les Chata, les Kanouté, les Eide, les Meidah, les Hembara, les Abba, les Dieng, les Tounkara et les Konté (ou Kanté), Sakho (ou Sacko), les Seck, les Dognon, les Condé, les Koné…

« Un griot qui meurt en Afrique est une bibliothèque qui brûle »

Pour paraphraser feu Amadou Hampâté Bâ qui disait « un vieillard qui meurt en Afrique est une bibliothèque qui brûle », « un griot qui meurt en Afrique est une bibliothèque qui brûle ». Expliquer le rôle du griot dans la société africaine se révèle fondamental face à une Afrique confrontée de nos jours à deux musiques : l’une purement traditionnelle, l’autre moderne, produit de multiples recherches.

Sans les griots qui véhiculent l’histoire de père en fils, la majorité des œuvres anciennes qui forment le patrimoine socioculturel serait oublié depuis longtemps. Ainsi peut-on toujours entendre les grandes chansons de geste de la tradition, celles de Soundjata Keïta, empereur du Mandé au XIII° siècle ou de Lat Dior Ngoné Latyr Diop, le damel (roi en wolof) du Cayor de la fin du XVII° siècle…

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Le rôle du griot

Le rôle de cette caste, fondamental dans la survie de la mémoire collective et la tradition orale relatives aux mœurs et coutumes et à l’histoire des grands empires, des royaumes, de la noblesse, a fait d’eux des historiens, des généalogistes, des conteurs, des chroniqueurs sociaux, des poètes, des journalistes, des confidents et conseillers des empereurs et rois, des diplomates, des précepteurs des jeunes princes et parfois même juges. Ils étaient aussi des amuseurs publics dans certaines sociétés. Jusqu’au XVIII° siècle, ils jouaient et chantaient surtout pour les nobles, mais se rendaient aussi dans les villages. C’est seulement à partir de date qu’ils ont commencé à aller vers un public populaire.

Les différents griots

Il existe plusieurs sortes de griots :
– Le griot conteur, celui qui dit et chante les grandes épopées du passé, les faits d’arme des princes guerriers, le pays, l’amour…Il peut être aussi invité pour un évènement quelconque (fêtes de réjouissances, mariage, naissance, funérailles…). Dans ce cas, il chante les louanges de celui qui invite, de celui à qui on doit la réunion ou de celui en l’honneur de qui elle est organisée. Chanter les louanges d’une personne, c’est chanter les louanges de son père, de sa mère, de ses grands parents, de ses aïeuls… c’est retracer en quelque sorte son arbre généalogique. Le griot conteur s’accompagne lui-même de son instrument de prédilection qui est héréditaire (kora, balafon, ngoni, ardin, tidinit, tambour…). Il peut aussi faire appel à un autre griot musicien, un second griot appelé « griot muet ». Son récit peut durer toute une nuit et ce type de réunion a un caractère intime : elle se passe souvent à l’intérieur d’une habitation et quelques proches et amis y prennent part. Ce sont des griots laudateurs et mémorialistes.

Le griot qui chante pour faire danser une assemblée, accompagné par un ensemble musical : l’amour est la base de tous ses chants ainsi que le quotidien ou la vie sociale. Chez certains peuples, le chant est la propriété des femmes qui se révèlent des interprètes exceptionnelles par la beauté de leur timbre vocal, leur sensibilité et leur finesse. L’emploi des instruments est dans certaines communautés exclusivement réservé aux hommes.

Tous ces griots, quel que soit leur rôle, ont droit à la même considération. Ceux pour qui ils chantent leur font des présents qui constituent leurs ressources. Certains ont parallèlement un autre emploi. Quelquefois, les griots se réunissent en public, racontent l’histoire de leur peuple, chantent et jouent pour leur propre plaisir, rivalisant d’habileté. Ces réunions sont souvent les seuls moments où les cadeaux ne sont pas obligatoires.

Les griots jouent un rôle d’autant plus important que la poésie et la musique aux répertoires variés sont des arts vivants intimement liés à la vie quotidienne. Leur existence représente beaucoup plus qu’une simple distraction, elle est un besoin, un élément indispensable à chacun, c’est pourquoi le griot est un des points centraux de la société africaine.

Dotés d’énormes facultés de mémorisation et jouant à l’oreille, les griots musiciens ont su perpétuer une technique de transmission bien codée de leurs arts.

Les griots des sociétés modernes

Avec la modernisation des grands foyers urbains et l’émergence de créateurs de musique émanant d’autres castes, certains griots jusque-là confinés uniquement à l’interprétation du patrimoine vocal ou instrumental se sont orientés vers la composition musicale dite moderne. Ainsi, ils se détournent de leur fonction originelle pour devenir des artistes professionnels électrifiant leurs instruments ou jouant d’instruments occidentaux. Ils se produisent, non plus sous l’arbre à palabre du village ou dans les cours royales, mais dans des salles de spectacle, réalisent des tournées internationales et participent à de grands festivals. Certains griots animent même les campagnes électorales des hommes politiques.

Outro

Toutefois, les fonctions traditionnelles de certains griots peuvent s’avérer néfastes pour la démocratie en Afrique. Leur vision de l’histoire qui donne toujours raison aux vainqueurs ne pose pas un regard critique sur une évolution sociale fondée sur des rapports guerriers. Leur valorisation du système des castes, autrefois compréhensible parce que moteurs des rapports fonctionnels entre les différents métiers tout en soulignant l’importance de tous, peut constituer aujourd’hui un frein au brassage des castes et à la lutte contre les inégalités sociales.

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Nago Seck

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