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“Groupe fondateur de la musique moderne angolaise, Ngola Ritmos s'est illustré par ses chansons engagées sous l'impulsion de son leader charismatique Liceu Vieira Dias. Le groupe fondateur de la musique moderne angolaise”

Muxima

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Liceu Vieira Dias

Liceu Gamor de son vrai nom a reçu par sa famille une éducation musicale occidentale classique. Il a été dans son enfance fortement influencé par sa tante Mary Vieira Dias, une pianiste qui donne au début du siècle des récitals pour l’intelligentsia dans sa grande maison de Luanda. Le jeune garçon qui partage avec sa tante l’amour de la musique décide d’explorer les richesses musicales d’Angola. Cette immersion dans le pays profond lui permet alors d’intégrer des composantes musicales multiples. Liceu est un remarquable joueur de batuque et un excellent guitariste. Il va donc transposer à la guitare les techniques du tambour et les polyrythmies de la musique africaine. Il est aussi un spécialiste des fameux cancoes de lamento, forme de complaintes qui expriment par des évocations à double sens et des proverbes, la tristesse de l’identité confisquée : «~Muxima~», son plus célèbre titre par exemple évoque l’amour maternel mais c’est aussi le nom d’un sanctuaire angolais et d’un fort militaire portugais.

Ngola Ritmos ou la chanson engagée

En 1947 il fonde avec Domingo Van Dunem, Amadeu Emorim, Mario Da Silva Araujo, Manuel Dos Passos et Nino Ndongo, le Ngola Ritmos qui va devenir au fil des années le symbole d’une culture militante pour l’indépendance. «~Ngola Ritmos appartient à l’histoire de la chanson engagée, explique Jorge Macedo, auteur d’une biographie du groupe. Il se situe entre le chant populaire et une musique qui s’inscrit dans un mouvement intellectuel comprenant des écrivains, des dramaturges et des journalistes oeuvrant clandestinement pour l’indépendance du pays. «~Nous étions jeunes et voulions affirmer notre culture car les Portugais affirmaient la leur au détriment de la notre. Liceu avait une grande sensibilité musicale et une connaissance approfondie de la culture angolaise~», explique Amadeu Emorim, joueur de batuque du groupe. C’est dans le quartier Operacio de Luanda qui se trouve à la frontière de la ville coloniale et des musseques, ces quartiers populaires de la périphérie où vit le petit peuple, que le groupe expérimente sa modernisation du semba. S’inspirant des bessangas (les lamentations de funérailles chantés par les femmes) et des sembas , danses populaires, le groupe lance un style qui va inspirer des générations de musiciens : «~la guitare solo introduit le thème et intervient en contrepoint de la voix , la construction rythmique est assurée par la deuxième guitare (rythmique), la guitare basse (alors à 6 cordes) marque le tempo presque comme une percussion. Le tambour et le dikanza (reco reco) sont les supports essentiels de l’ensemble~».

Entre musseques et ville coloniale

Entre la ville portugaise qui écoute les airs européens et les musseques qu vivent au rythme des danses de carnaval (dizandas, varinas, kabekutas, cidralias, maringas, kazukutas, etc…), il y a un monde. «~Tout le monde n’avait pas la radio ni la télévision et peu de journaux circulaient dans les musseques. Dans les quartiers, nos chansons en kimbundu faisaient passer l’information. Quand nous chantions en kimbundu, on nous prenait d’ailleurs pour des mussequeiros~», explique Amadeu Emorim. Quand le groupe joue dans la ville coloniale, il s’arrange pour affirmer sa culture. «~Nous jouions des sambas brésiliennes, des fados, du swing puis progressivement nous en modifiions l’interprétation y glissant des couleurs angolaises. Les portugais qui se sentaient angolais et les nationaux finissaient par applaudir~»

Textes anti-coloniaux et proverbes kimbundu

Le groupe intègre d’autres artistes comme les chanteuses Lourdes Van Dunem et Belita Palma. Il fait également appel à des artistes comme Sara Chaves et Fernanda Ferreirinha. Les textes des chansons sont essentiellement des pamphlets appelant le peuple angolais à lutter pour l’indépendance. Ngola Ritmos utilise le langage imagé des proverbes kimbundu mais adapte également des poèmes d’Ernesto Lara Filho et d’Agostinho Neto comme «~Içar da Bandeira~», un hommage aux héros du peuple angolais. La voix de Liceu, tout à la fois nasale et puissante, son jeu de violao (guitare angolaise) et la profonde émotion qu’il imprime à ses textes contribue à la popularité du groupe…et à sa perte. En 1959, Amadeu et Liceu sont arrêtés et envoyés au camp de Tarrafal, au Cap Vert d’où il ne reviendront que dix ans plus tard. En 1961, c’est le tour de José Maria envoyé à l’Armée. Nino, Fontinhas, Xodo, Zé Cordeiro et Gégé maintiennent le groupe. Lors d’un séjour à Lisbonne, ils passent à la télévision. «~Nous avons enregistré deux disques à Lisbonne avec Zé Maria à la guitare rythmique, moi à la batterie et au chant. Les autres membres du groupe étaient Euclides Nino, Zé Cordeiro, Gege, et Xodô sans oublier Lourdes Van Dunem et Belita Palma. Nous avons ainsi maintenu Ngola Ritmos pendant plusieurs années.~»

L’hommage tardif

En 1969, Liceu Vieira Dias sort enfin du camp de Tarrafal. Mais le contexte social et politique a changé. Les détenus rentrent progressivement au pays. L’indépendance approche. En 1974, le pays est enfin libre. Liceu Vieira Dias qui s’éloigne des idées d’Agostinho Neto est écarté. Il vit un exil intérieur et tombe peu à peu dans l’oubli. Il faut attendre la semaine culturelle de novembre 1994, soit un mois après sa disparition, pour que le pouvoir lui rende enfin un vibrant hommage. Les artistes, eux, ne l’ont jamais oublié : le sculpteur et cinéaste Antonio Ole lui a consacré un documentaire et Jorge Macedo a publié en 1989 l’histoire de sa vie. Liceu Vieira Dias n’a jamais enregistré de disque mais ses œuvres ont été reprises par de nombreux artistes angolais comme Aldo Mila, Andre Mingas, Felipe Mukenga, Valdemar Bastos ou encore son son fils spirituel Mario Rui Silva qui fut son élève (guitare). Le groupe rêve aujourd’hui d’enregistrer un album qui contribuerait à l’édification du patrimoine musical angolais.

* Sources:

Emission consacrée à Liceu Vieira Dias par Sylvie Clerfeuille – Cultures Africaines – RFI – 10 Septembre 1999

Obreiros do Nacionalismo Angolano – Ngola Ritmos de Jorge Macedo

Itw de Amadeu Emorim par Silvia Malonga – Lisbonne – 25 Octobre 2002 sur www.ebonet.net

Livret de Angola 60’s : texte de Jorge Macedo Ngola Ritmos

L’histoire de Ngola Ritmo, ce groupe fondateur de la musique moderne angolaise a été marqué par la personnalité de Liceu Vieira Dias.

Liceu Vieira Dias

Liceu Gamor de son vrai nom a reçu par sa famille une éducation musicale occidentale classique. Il a été dans son enfance fortement influencé par sa tante Mary Vieira Dias, une pianiste qui donne au début du siècle des récitals pour l’intelligentsia dans sa grande maison de Luanda. Le jeune garçon qui partage avec sa tante l’amour de la musique décide d’explorer les richesses musicales d’Angola. Cette immersion dans le pays profond lui permet alors d’intégrer des composantes musicales multiples. Liceu est un remarquable joueur de batuque et un excellent guitariste. Il va donc transposer à la guitare les techniques du tambour et les polyrythmies de la musique africaine. Il est aussi un spécialiste des fameux cancoes de lamento, forme de complaintes qui expriment par des évocations à double sens et des proverbes, la tristesse de l’identité confisquée : Muxima, son plus célèbre titre par exemple évoque l’amour maternel mais c’est aussi le nom d’un sanctuaire angolais et d’un fort militaire portugais.

Ngola Ritmos ou la chanson engagée

En 1947 il fonde avec Domingo Van Dunem, Amadeu Emorim, Mario Da Silva Araujo, Manuel Dos Passos et Nino Ndongo, le Ngola Ritmos qui va devenir au fil des années le symbole d’une culture militante pour l’indépendance.  » Ngola Ritmos appartient à l’histoire de la chanson engagée, explique Jorge Macedo, auteur d’une biographie du groupe. Il se situe entre le chant populaire et une musique qui s’inscrit dans un mouvement intellectuel comprenant des écrivains, des dramaturges et des journalistes oeuvrant clandestinement pour l’indépendance du pays « .  » Nous étions jeunes et voulions affirmer notre culture car les Portugais affirmaient la leur au détriment de la notre. Liceu avait une grande sensibilité musicale et une connaissance approfondie de la culture angolaise « . explique Amadeu Emorim, joueur de batuque du groupe. C’est dans le quartier Operacio de Luanda qui se trouve à la frontière de la ville coloniale et des musseques, ces quartiers populaires de la périphérie où vit le petit peuple, que le groupe expérimente sa modernisation du semba. S’inspirant des bessangas (les lamentations de funérailles chantés par les femmes) et des sembas , danses populaires, le groupe lance un style qui va inspirer des générations de musiciens :  » la guitare solo introduit le thème et intervient en contrepoint de la voix , la construction rythmique est assurée par la deuxième guitare (rythmique), la guitare basse (alors à 6 cordes) marque le tempo presque comme une percussion. Le tambour et le dikanza (reco reco) sont les supports essentiels de l’ensemble  » (jaquetrt de Angola 60’s), texte de Jorge Macedo. .

Entre musseques et ville coloniale

Entre la ville portugaise qui écoute les airs européens et les musseques qu vivent au rythme des danses de carnaval (dizandas, varinas, kabekutas, cidralias, maringas, kazukutas, etc…) , il y a un monde.  » Tout le monde n’avait pas la radio ni la télévision et peu de journaux circulaient dans les musseques. Dans les quartiers, nos chansons en kimbundu faisaient passer l’information. Quand nous chantions en kimbundu, on nous prenait d’ailleurs pour des mussequeiros « , explique Amadeu Emorim. Quand le groupe joue dans la ville coloniale, il s’arrange pour affirmer sa culture  » Nous jouions des sambas brésiliennes, des fados, du swing puis progressivement nous en modifiions l’interprétation y glissant des couleurs angolaises. Les portugais qui se sentaient angolais et les nationaux finissaient par applaudir « .

Textes anti-coloniaux et proverbes kimbundu

Le groupe intègre d’autres artistes comme les chanteuses Lourdes Van Dunem et Belita Palma. Il fait également appel à des artistes comme Sara Chaves et Fernanda Ferreirinha. Les textes des chansons sont essentiellement des pamphlets appelant le peuple angolais à lutter pour l’indépendance. Ngola Ritmos utilise le langage imagé des proverbes kimbundu mais adapte également des poèmes d’Ernesto Lara Filho et d’Agostinho Neto comme  » Içar da Bandeira « , un hommage aux héros du peuple angolais. La voix de Liceu, tout à la fois nasale et puissante, son jeu de violao (guitare angolaise) et la profonde émotion qu’il imprime à ses textes contribue à la popularité du groupe … et à sa perte. En 1959, Amadeu et Liceu sont arrêtés et envoyés au camp de Tarrafal, au Cap Vert d’où il ne reviendront que dix ans plus tard. En 1961, c’est le tour de José Maria envoyé à l’Armée. Nino, Fontinhas, Xodo, Zé Cordeiro et Gégé maintiennent le groupe. Lors d’un séjour à Lisbonne, ils passent à la télévision.  » Nous avons enregistré deux disques à Lisbonne avec Zé Maria à la guitare rythmique, moi à la batterie et au chant. Les autres membres du groupe étaient Euclides Nino, Zé Cordeiro, Gege, et Xodô sans oublier Lourdes Van Dunem et Belita Palma . Nous avons ainsi maintenu Ngola Ritmos pendant plusieurs années.

L’hommage tardif

En 1969, Liceu Vieira Dias sort enfin du camp de Tarrafal. Mais le contexte social et politique a changé. Les détenus rentrent progressivement au pays. L’indépendance approche. En 1974, le pays est enfin libre. Liceu Vieira Dias qui s’éloigne des idées d’Agostinho Neto est écarté. Il vit un exil intérieur et tombe peu à peu dans l’oubli. Il faut attendre la semaine culturelle de novembre 1994, soit un mois après sa disparition, pour que le pouvoir lui rende enfin un vibrant hommage. Les artistes, eux, ne l’ont jamais oublié : le sculpteur et cinéaste Antonio Ole lui a consacré un documentaire et Jorge Macedo a publié en 1989 l’histoire de sa vie. Liceu Vieira Dias n’a jamais enregistré de disque mais ses oeuvres ont été reprises par de nombreux artistes angolais comme Andre Mingas, Felipe Mukenga, Valdemar Bastos et Mario Rui Silva. Le groupe rêve aujourd’hui d’enregistrer un album qui contribuerait à l’édification du patrimoine musical angolais.

Sylvie Clerfeuille

Sources : Obreros do Nacionalismo angolano-Ngola Ritmos de Jorge Macedo, Uniao dos Escritores angolanos, Itw de Amadeu Emorim par Silvia Malonga, Lisbonne, 25 Octobre 2002 sur www.ebonet.net, jaquette du disque Angola 60’s, texte de Jorge Macedo. Emission consacrée à Liceu Vieira Dias, RFI, 10 Septembre 1999, Cultures Africaines (préparée par Sylvie Clerfeuille).

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Sylvie Clerfeuille

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