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Du 26 au 30 Avril 2023, dans un petit village de pêcheurs lébou au Sénégal, l’ombre d’un homme plane, comme un esprit bienfaisant , insufflant  d’abord une vision :  faire rayonner un art global ( théâtre, danse, musique, cirque , peinture) et le mettre au service de l’environnement. C’est le projet du Dialaw Festival qui vient de signer cette année sa onzième édition réunissant 276 artistes de 16 pays (Haïti, Burkina Faso, France, Suède, Madagascar, Belgique, Canada, Japon, Mali, Usa, Gabon, Lituanien, Guinée, bénin, Martinique, Hollande).

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Hommage à Papa Gérard

Cette idée de Papa Gérard, comme l’appellent affectueusement les artistes et les habitants de Toubab Dialaw, n’est pas nouvelle. Cet exilé haïtien naturalisé sénégalais, Gérard Chénet de son vrai nom, est metteur en scène, sculpteur, penseur et surtout rêveur. Installé en 1954 au Sénégal pour fuir la dictature des Duvalier, il construit  dans les années 1970 un espace à l’image de ses rêves,  le mythique hôtel et espace culturel Sobo Badé, lieu de méditation et de création (« Sobo » : dieu de l’ orage et « Badè » : divinité de l’éclair dans la mythologie vaudou).

Gérard Chénet y invitera des artistes du monde entier et fera rayonner ce lieu devenu mythique  sur la scène internationale par de multiples initiatives : créations théâtrales, formations artistiques, représentations et un festival, Rythmes et formes du Monde qui signe cette année sa onzième édition. Papa Gérard a tiré sa révérence en Novembre 2022. « Avec lui, prédisait  le poète Amadou Lamine Sall, est morte sans doute la marche lumineuse et féconde d’hommes de renom et de talents venus d’Haïti et de tous les Caraïbes pour faire du Sénégal leur terre d’asile’’.

La prédiction du poète sénégalais ne se confirme pas. Devenu Dialaw Festival, l’esprit de l’homme a trouvé des relais auprès de sa fille Rachel et son mari Sayouba Sigué, tous deux danseurs qui ont décidé de perpétuer son esprit et ont, semble-t-il, réussi ce parti audacieux. 131 bénévoles venus du monde entier (animateurs, juristes, membres d’associations écologistes, acteurs culturels) sont venus les soutenir. Un mouvement est né : les multiples manifestations ( 23 spectacles, 4 concerts sur 9 lieux différents, 5 conférences, 4 résidences d’artistes, 6 ateliers pour enfants) ont confirmé la tendance, attirant  près de 7600 spectateurs,  dont une grande partie de jeunes et de mamans issus du village.Les artistes locaux de Toubab Dialaw et de Yenne sous la direction musicale et artistique de Donald Boucal et du beatmaker Luka Beatz lui ont d’ailleurs rendu hommage en composant un hymne à sa mémoire : « Festi Dialaw : Hymne de Dialaw Festival – Rythmes et Formes du Monde ».
Retrouvez sur ce lien les détails de cette aventure musicale.

« Le concept cette année était d’impliquer davantage la population locale, de permettre notamment  aux mamans de bénéficier économiquement du festival par des stands et des activités (la danse diawarabine par exemple), de faire participer les enfants (réalisation de dessins autour de la question de l’environnement,  participation à l’opération Set Setal destinée à rendre le village propre en nettoyant chaque soir les plages, ateliers divers », explique Rachel .Chenet, co-directrice avec son mari et danseur burkinabé Sayouba Sigué du Dialaw Festival.

La danse, un art qui vit toute l’année

Dans ce concept d’art total, le théâtre et la danse occupent une place importante. Le chorégraphe sénégalais Balla Keïta (ex Mudra Afrique) y anime des ateliers de danse avec des stagiaires venus notamment de Toulouse, en France, grâce à la collaboration de Catherine Chelle. Cette forme d’art vit toute l’année, accueille des élèves du monde entier. Elle est présente  dans divers lieux comme les scènes de Sobo Bade, la plage et l’école des sables de Germaine Acogny, figure historique de la danse en Afrique  qui en est la présidente d’honneur.

Valoriser la culture lébou

Ici la culture, l’histoire et l’environnement ne sont pas un vain mot. Haïti et ses héros ainsi que la culture lébou y sont mis en valeur sous diverses formes. Au cœur du village, dans sa propre cour, Barkham Ciss, ambassadeur de la culture lébou est invité à transmettre non seulement un récit  sur l’histoire de ce peuple de pêcheurs installé sur les côtes du Sénégal mais des valeurs qui offraient une exigence démocratique (pas de roi), un équilibre social et écologique et qui suscite auprès des auditeurs venus des quatre coins de la planète une réflexion sur l’ évolution du monde et ses dérives. La culture lébou est également présente sous diverses formes : danse traditionnelle comme le dawrabine, le simb gaïndé, danse du faux lion ou chant qui trouve aujourd’hui ses ambassadeurs et ses formes modernes avec des artistes comme Mactar Lebou Bi, une des révélations du festival.
Découvrez son portrait et sa musique.

Le temple des esprits : une peinture  au service de la nature

L’environnement se décline également en peinture , des œuvres présentées dans des galeries de Sobo Bade mais aussi en plein air au sein du  temple des esprits, un espace où les œuvres sont issues de matériaux recyclés et appelant par l’image à nettoyer la planète et à dénoncer les dangers qui guettent la mer et les poissons. Plastiques, filets de pêche, etc…

Musique entre terre et mer

La musique elle aussi est au cœur des débats et doit selon les participants trouver de nouveaux lieux d’ expression tout en reliant art et environnement. Certains optent pour la terre, d’autres rêvent de la mer. Ousmane Faye, le manager d’Omar Pène, est un important opérateur culturel du Sénégal. Il a choisi de penser la terre nourricière en lien avec  l’art et les artistes. « Nous voulons vivre et assurer notre bien être, celui auquel nous avons droit, mettre en oeuvre notre capacité de travail pour produire de la valeur et de la richesse , imaginer de nouvelle  dynamiques de construction économique, en lien avec le territoire, vivre et créer dans la dignité. Pour nous, il y a une seule civilisation dans laquelle la culture et les arts peuvent jouer un rôle important de transversalité ». Son projet, Ferme Factory, est né en 2018. En partenariat avec l’ANIDA (Agence Nationale d’Insertion et de Développement Agricole) dépendant du Ministère de l’agriculture propose un nouveau modèle économique dont le but est de  former les jeunes à l’agriculture tout en leur donnant les moyens de créer leur musique. En 2018, dans le cadre du projet Ferme Factory, 1400 jeunes sont mobilisés, 140 formés dans des filières agricoles et 40 sont devenus responsables de leur propre exploitation générant sur certaines plusieurs millions de F CFA par an. Les artistes agriculteurs sont également aidés en équipements pour leur musique (ordinateurs,  logiciels de son, etc…) afin de créer leur home studio. Certains qui ont un background de tailleur sont même devenus leur propre styliste et reçoivent une machine à coudre pour confectionner leur tenue de scène. Certains sont invités à des spectacles . 25 fermes ont ainsi été créées. « Le digital ne remplace par l’humain mais il fournit des outils » conclue Ousmane Faye.

Chercheur, urbaniste, originaire de Martinique, Kenjah Ali Babar, mise plutôt sur la mer pour développer l’art. Promoteur avec le romancier  Patrick Chamoiseau, son ami , des mangroves en milieu urbain qui ont connu un succès certain aux Antilles, il prône aujourd’hui  la reconquête de l’espace maritime  pour diminuer l’empreinte carbone. « Le concept de paquebots à voile est actuellement lancé notamment sur les chantiers de l’Atlantique à Saint Nazaire, les JO 2024 vont privilégier les voies fluviales ). Ce ralentissement du temps va permettre de reconsidérer l’espace, d’aborder une notion qui m’est chère, la traversée du milieu, et de lutter contre le complexe de l’exode . Ce temps et ces espaces retrouvés peuvent devenir des lieux d’expression de l’art ».

Depuis sa création, de grands noms venu du monde entier sont venus soutenir cette initiative : Racine Senghor, Massamba Guèye, Felwin Sarr, Barkham Ciss, Jessie Mill, Ousmane Faye, Afidi Towo et Germaine Acogny, Mamby Mawine. Le concept et le rêve de Papa Gérard n’est pas près de mourir ….

Sylvie Clerfeuille et Nago Seck

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À propos de l'auteur

Sylvie Clerfeuille

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Nago Seck

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