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“Passionné par les musiques traditionnelles de son pays natal, le Tchad, et jazzman convaincu fan de John Coltrane, Doro Dimanta réinvente un patrimoine oublié en compagnie des avec les musiciens de Khalele. Il sera en résidence à l’Institut Français de Ndjamena en mai 2021 avec ces derniers pour l’enregistrement d’un album entre jazz et musiques de cour. Rencontre ….”

Sylvie Clerfeuille : Quand est né le projet Baguirmi Jazz ?

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Doro Dimanta : En 2003, lors du Festafrica, un festival organisé à Lille qui s’est exporté à Ndjamena. J’étais le directeur musical d’une pièce, les Sextirpateurs de Nocky Djedanoum mis en scène par Kangni Alem. Le soir je rejoignais les musiciens baguirmiens qui répétaient au local du Ballet National  (ils ont accompagné la grande cantatrice Maman Ildjima disparue en 2012). Je me suis rendu compte alors que le système musical joué sur des cithares s’apparentait au jeu du balafon. En 2014, lorsque j’ai joué du sax sur l’œuvre d’Emmanuel Dongola, « Jazz et Vin de palme », je les ai retrouvé et je me suis dit qu’il fallait sauver ce répertoire tout en le mariant au blues et au jazz car je suis un fan de John Coltrane. Je trouve que ‘il y a entre ces musiques et le jazz un point commun,  la place donnée au dialogue entre les musiciens, ce qui n’existe pas dans la variété. Même si ces musiques sont très différentes sur le plan des harmonies, elle partage cet esprit de l’improvisation, du dialogue, car pour moi , la musique est avant tout une parole.

S.C. Vous avez fait le pont entre jazz et musiques de cour, pourquoi ce choix ?

D.D. Je voulais revaloriser et réactualiser cette musique à base de cordes joué dans le royaume  de Baguirmi fondé au XVI° siècle et qui a disparu à l’arrivée des colons. Cette musique qui est une musique d’épopées, de cour, se joue avec 5 cithares, Baou, Wandja, Diremdana, Kindi et Gogo (la plus petite et la plus aigue) et, paradoxalement, c’est la cithare basse qui fait les solos.

S.C. Vous avez introduit d’autres instruments comme le balafon qui n’existe pas dans la musique baguirmienne… ?

D.D. Le balafon est très populaire au Tchad, c’est un instrument très symbolique, le lien entre les morts et les vivants. Il est surtout joué au sud, chez les Sara. En faisant ce travail, je tente de retrouver les liens entre les différentes cultures du Tchad. En dépit de l’islamisation, ce sont des cultures qui font partie de la même unité linguistique et puis, ce lien culturel me replonge dans mon enfance, dans les années 1960, quand on pouvait découvrir toutes les musiques du pays durant la Fête Nationale. La rupture culturelle s’est opérée en 1979  avec la guerre civile.

S.C. Ce travail est  à la fois une recherche sur les musiques oubliées et une réinvention de ce patrimoine ?

D.D. Oui, aujourd’hui, j’ai le sentiment que nous perdons notre âme, pas tous les jeunes, mais beaucoup jouent une musique qui n’a pas de racines tchadiennes. Il faut leur faire comprendre que les sonorités traditionnelles peuvent être la source d’expression très contemporaines.

S.C. Vous dites la même chose que Ray Lema ?

D.D Oui, c’est un grand monsieur qui explore des voies très variées sans se préoccuper de la mode du moment. Nous, les musiciens, nous ne devons pas oublier que nous sommes avant tout des chercheurs.

* Propos recueillis par Sylvie Clerfeuille

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Sylvie Clerfeuille

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