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“ Né le 30 Mars 1946 à Lufu-Toto en République Démocratique du Congo, Ray Lema est maître tambour, auteur-compositeur, organiste, pianiste classique, claviériste et interprète . Il est de toutes les aventures musicales des années 1980 à 2000 et tente depuis des années de mettre en pratique et de confronter sa vision africaine de la composition, s'orientant vers l'afro-jazz, fusion de jazz et de diverses sonorités dont la rumba congolaise... ”

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Sa vision de la culture

Assis devant son piano quart de queue ou, en sous sol, derrière son Prophet 5 et son synthé Karsweil, Ray Lema réfléchit, doute, se révolte, rêve. Sa quête éternelle des structures de la musique africaine n’a d’égale que ses interrogations, ses doutes, ses tiraillements. “En Europe, la culture se trouve dans tous les bouquins. Moi, je dois la construire, la conceptualiser pour la léguer aux générations futures.”

Ray Lema et le piano

Cette ambition est née sans aucun doute de sa formation peu ordinaire de musicien congolais confronté très jeune à la technologie occidentale. A 11 ans à peine, l’enfant né à Lufu-Toto d’un père, chef de gare -est déjà un cas au Zaïre. “Ma mère a décidé de me mettre au séminaire. L’instrument disponible était l’orgue, un B3 Grammond, un instrument à roue phonique. L’avantage est que je l’avais à disposition. J’accompagnais la messe. Le Père Maréchal, un Belge, s’est pris d’affection pour moi et m’a appris tous les secrets du chant grégorien. Dans le Grégorien, on n’écrit jamais les harmonies, on joue une simple ligne mélodique, Il y a par contre de véritables écoles d’accompagnement. Chacune a sa botte secrète. Lui m’a légué toute sa science.”

De ses débuts musicaux originaux, le jeune garçon acquiert l’art d’harmoniser une mélodie puis s’ouvre à un autre univers musical qui va laisser des traces indélébiles dans sa vie de futur chercheur-compositeur. “Un abbé fortuné, amoureux de la musique classique m’a ramené de Belgique un piano droit. C’était un véritable événement au Zaïre. Et pour moi, la découverte d’un instrument à percussions. Le piano est un instrument complètement absent de la tradition africaine. A part en Afrique du Sud mais là, il est associé au jazz. En Afrique, la percussion la plus complexe, c’est le balafon. On ajoute toujours une ferraille, un résonateur pour obtenir un son distordu, de la présence. Un piano, lui, a des notes tellement pures, des notes qui n’ont pas de consistance percussive. Il n’y a pas d’existence à l’intérieur du rythme.” Le piano est aussi la rencontre d’un univers musical, Bach, Mozart, Beethoven, Haynd. “A l’époque, j’avalais tout. C’est après coup que je me suis rendu compte que le monde du classique était immense, il y a tellement de grands compositeurs. J’aime le classique, j’écoute beaucoup de classique mais on peut s’enfermer dans cet univers et ne plus en sortir, être déformé par lui.

Ray Lema et la guitare

Petit protégé des prêtres, Ray Lema donnera un concert classique à Kinshasa, “La sonate au clair de lune”, avant de tirer brusquement un trait sur l’univers du séminaire et sur le piano. “On venait de m’offrir une guitare. C’était un mode d’expression totalement différent. Autant avec cette dernière, la note est au bout du doigt, autant avec le piano, la note dépend du mécanisme, il s’interpose entre toi et la note. Le toucher devient alors vital pour dominer celui-ci.” Il faut dire que la guitare est alors, dès la fin des années cinquante, l’instrument roi de la scène congo-zaïroise : dans les boîtes et les ngandas, les bars en plein air, la rumba congolaise coule à flot comme la bière, boisson préférée des jeunes kinois. Des musiciens viennent de toute l’Afrique enregistrer dans les studios de Kinshasa. Franco, Rochereau et Kabasele sont des figures respectées de la scène kinoise. Ce dernier, il est vrai, composera en 1960 l’hymne à la liberté de l’Afrique avec le titre “Indépendance cha cha”, accompagné au piano de Manu Dibango qui jouera plus tard en duo avec Ray Lema. “Il était le seul pianiste à l’époque. Il avait introduit l’instrument dans la rumba. C’était un choc terrible, incroyable. Et en même temps, cela donnait une couleur unique à la musique de Kabasele. Ce titre eut un tel succès qu’il a fait le tour de l’Afrique.”

Rock et tradition

Devenu maître tambour, Ray Lema participe peu à l’aventure de la rumba, (il accompagnera néanmoins Tabu Ley et Joseph Kabasélé) mais s’avoue plus passionné par d’autres univers musicaux : “Le rock s’est pointé en Afrique à la fin des années 1970. Personne ne s’y intéressait, on trouvait ça trop binaire, trop direct. Puis il y a eu Jimi Hendrix et là tout a changé. Avec lui, la guitare commençait alors à raconter des histoires. Avec lui, tu avais une pensée qui se développait.” Rocker aux côtés du chanteur Gérard Kazembé pendant quatre ans, (1970-1974), Ray s’illustre sur la scène locale et gagne avec le groupe les Yss Boys, le concours de la meilleure composition “non rumba”.

Le Ballet national du Zaïre

Pourtant le piano va bientôt reprendre ses droits et avec lui, germe le début d’une quête qui va hanter toute l’existence du compositeur. “J’ai été nommé Directeur du Ballet national du Zaïre. J’étais chargé de collecter les musiques traditionnelles de tout le pays. J’ai voulu voir comment les artistes traditionnels réagissaient au son du piano, un tender road. Je me sentais un musicien moderne mais j’étais frigorifié par l’image trop blanche que j’avais. Une opportunité s’offrait à moi. Je voulais ne plus sonner blanc mais je ne savais pas comment. Pour moi, c’était le début d’une démarche, j’étais dans un système bâtard, je tâtonnais, je grappillais à droite à gauche, je n’avais pas encore trouvé le lien.” De cette expérience naîtra un groupe Ya Tupas, et un 45 tours militant, « L’Afrique aux africains » sorti en 1977. Cette première oeuvre lui vaut l’année suivante un Maracas d’Or.

Les workshops et « Koteja »

Titulaire d’une bourse de la fondation Rockefeller, Ray Lema quitte alors le Zaïre pour les Etats-Unis. L’Amérique vient de découvrir les synthés et Ray, la prise de son. « Le Prophet 5 venait d’arriver aux USA. Il y a eu de violentes réactions. Ce fut pour moi une révélation. Par rapport au piano, c’était un autre instrument. Les touches plastiques, il n’y avait aucune sensation de dynamisme. Je passais des nuits à triturer le son. Très vite, j’ai investi dans un petit studio huit pistes. A la nouvelle Orléans, j’avais rencontré un ingénieur du son qui avait de la musique de l’OK Jazz de Franco, un groupe qui était une référence en matière de son au Zaïre. Il m’a fait écouter un mix qu’il avait réalisé à partir d’un morceau et là, j’ai compris qu’il nous restait une grande distance à parcourir« . Il enregistre à cette occasion « Koteja », une rencontre entre rock et musique congolaise.

Ray Lema se lance alors à corps perdu dans les workshops qui traduisent l’extraordinaire bouillonnement de l’Amérique. Il suit les celles de George Benson, de Mc Coy Tyner, baigne dans l’ambiance funky de Washington, côtoie des groupes de salsa et les Haïtiens de New York. “Les workshops ont été l’occasion formidable de progresser. Le mec se met à ta disposition, t’explique toutes les harmonies, les choses les plus complexes Il te révèle ses secrets. Cette communication donne une force incroyable à la créativité.”

Verticalité/horizontalité

L’expérience américaine et ses univers musicaux marquera de son influence plusieurs albums dont « Man of Universe », « Black Atlantis » et « Kinshasa-Washington D.C.-Paris » (dont le très entraînant “Iyoléla”), fusions de rock, de funk, de reggae et de rythmes congolais, tous trois enregistrés à son arrivée en Europe. En 1983, Ray s’installe en effet en Belgique puis à Paris où il entame le début d’une quête du son africain. Dans tous les albums où le synthé est roi, Ray Lema se lance dans les fusions à corps perdu, avec plus ou moins de bonheur, On le retrouve producteur dans Bwana Zulu Gang qui réunit Manu Dibango et les rockers français Alain Baschung, Jacques Higelin, CharlElie Couture et Tom Novembre, compositeur avec Claude Nougaro pour qui il écrit “C’est une Garonne”, complice du pianiste allemand Joachim Kühn et de la camerounaise Were Were Liking pour qui il réalise une roue musicale visitant l’Afrique, du Nord au Sud, l’album Un touareg s’est marié à une pygmée .

Entre déchiffrage de partitions de Bach et de Mozart, étude de musiques de funérailles de Kinshasa et confrontations avec les polyphonies bulgares (du Professeur Stefanov et Les Voix Bulgares de l’Ensemble Pirin), Ray Lema cherche avec appréhension une philosophie. “Je veux mettre ensemble cette fichue structure verticale occidentale avec la vision horizontale et collective de l’Afrique. Dans la société africaine, chacun trouve sa place dans la musique qui devient alors de plus en plus complexe. La musique moderne africaine est cette ligne de démarcation qui est au centre de cette verticalité et de cette horizontalité.” La technologie va alors se mettre au service de cette quête quasi mystique. Armé, d’un piano quart de queue, de son Fender Rol, de deux Prophet (le 5 et le Vf) et d’un Kersweil k2005, Ray bidouille, transforme des mélodies pygmées ou des rythmes du Kasaï en compositions du troisième millénaire, une démarche reprise plus tard par Deep Forest.

L’esprit du balafon

Au fil des années, l’artiste ne cesse d’osciller entre expérimentation électronique et dépouillement acoustique. “Chaque synthé a un phrasé spécial et comme on ne sait jamais ce que l’on cherche, il faut être équipé. Il n’y a pas d’école, je travaille intuitivement en cherchant à rapprocher mon jeu d’une philosophie des percussions africaines. Mais parfois je lâche tout ça : quand tu commences à bosser les synthés, tu rentres dans la logique des machines et de temps en temps, il faut revenir à l’acoustique.”

Avec l’album « Green light » puis « Stop the time », Ray Lema se tourne de nouveau vers le piano. “J’essaye de jouer le piano en le rapprochant d’une certaine philosophie des percussions. Je joue comme un balafongiste, d’une façon très rythmique et ça désoriente les autres pianistes. Il faut savoir que le balafon a une seule tonalité et un mode fixe, pas les 12 demi-tons. Mon équation devient alors : comment faire du balafon et des harmonies en même temps, Comment également concilier deux techniques, celle du balafon basée sur l’alternance droite gauche et celle du piano où on joue avec les deux mains.”

Musique de chambre et percussions africaines

La réponse, Ray tente de la trouver en 1998 avec « Le rêve de la Gazelle » où il se lance dans la composition pour Orchestre de Chambre et enregistre avec le Sundsvall, un des meilleurs orchestres de Suède. “J’ai une méthode bien à moi. J’écris des mélodies comme j’écrirais pour un piano et Yann Riesberg, chef d’orchestre classique, rajoute les blocs d’instrumentations, les cordes. Dans cette expérience enrichissante, les écueils sont nombreux. Un orchestre classique ne swingue pas alors que le chef d’orchestre lui danse, il ralentit, accélère, lève le bras, donne le rythme en quelque sorte.”

Entre les percussions d’Adama Dramé qui participe également à l’enregistrement et les instruments occidentaux, l’exécution ne sera pas aisée. “L’orchestre marchait sur papier, lui jouait oralement. Donc, la seule solution était de lui faire démarrer le mouvement. Et puis, il y avait cette façon de rentrer dans le temps, ces différences de la gestuelle. Il était difficile, presqu’impossible de démarrer ensemble. La psychologie musicale n’est pas la même. Au delà des simples notes, il y a une façon de s’installer dans le temps où on ne sent confortable.”

Hommage et héritage

Toujours en quête d’une réponse à sa quête du ressort caché de la musique africaine, Ray Lema a croisé les notes avec les gnawas du Maroc qui ont érigé la musique de transe en véritable science “leur musique très codifiée, très organisée me fascine. C’est plus qu’une musique, c’est une philosophie” avoue-t-il. En 2003, le président de la Sacem lui décerne le Django d’Or pour l’ensemble de sa carrière, une véritable reconnaissance pour ce chercheur passionné et en perpétuel éveil.
En 2004, il opère un retour à l’acoustique avec Mizila entre classique, jazz et sonorités africaines, collabore l’année suivante avec le compositeur brésilien Chico Cesar et signe en 2007 avec Etienne MBappé et Francis Lassus Paradox, un hommage à deux grands musiciens disparus : Claude Nougaro et Ali Farka Touré.

Trente ans de recherche musicale ont débouché comme le rêvait Ray Lema sur son devoir de transmission du savoir : il fait depuis 2004 des master classes dans divers pays africains et enseigne la pratique musicale à l’UMA, l’Université Musicale Africaine, une structure qu’il a monté en 2005 à Ouagadougou au Burkina Faso.

Ray Lema ou l’éclectisme musical

Son éclectisme l’amène à multiplier les croisements musicaux qui font de “chacun de ses albums une oeuvre unique. D’un disque à l’autre, Ray Lema nous emmène au gré des univers qu’il partage avec d’autres cultures et musiques, sans jamais perdre pour autant son identité et ses racines.” Comme le laissent entendre ses créations musicales suivantes. « Jazz Sinfônica de Sao Paulo – Maestro » (2011) est un opus révélant les enregistrements des concerts à l’auditorium Ibirapuera de São Paulo, dans le cadre de l’année de la France au Brésil, de Ray lema au piano, avec le Jazz Sinfônica de São Paulo, sous la direction du maestro João Mauricio Galindo. Quant à « 99 » (2011), réalisé, entre autres avec deux invités, le brésilien Chico César (compositeur du tube “Mama Africa”) et Anouk (duo avec Manu Chao et co-auteur de “Je ne t’aime plus”), c’est le numéro attribué en France par l’administration à tous ceux qui viennent d’ailleurs. Un seul numéro pour le monde entier, un trait commun finalement, à toute l’Humanité pourrait se retrouver dans une grande Tour de Babel. Ray Lema nous livre 99 comme une utopie à la discrimination se transforme en fraternité. « VSNP – Very Special New Production » (2013), ce sont neuf titres inédits enregistrés avec son formidable quintet composé d’excellents musiciens, compagnons de route dont certains depuis de nombreuses années. Etienne Mbappé à la basse tient le rôle du maître tambour dans la tradition musicale d’Afrique Centrale, il partage le verbe avec Ray Lema dont le jeu de piano mélodique et maîtrisé vient apaiser ou attiser la fougue et la puissance du jeune Nicolas Viccaro à la batterie qui accompagne et souligne les chants des deux cuivres, Irving Acao au saxophone ténor et Sylvain Gontard à la trompette…

* Crédit photo / Source: http://raylema.com/albums/

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À propos de l'auteur

Sylvie Clerfeuille

Sylvie Clerfeuille

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