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“Groupe formé en 1991 par Jean-Emile Biayenda aka Emile Biayenda, Les Tambours de Brazza sont un hymne aux tambours (ngouri, ngoma, lokolé, bala), batterie, guitare et basse, dans des formes modernes comme le jazz, le be-bop et le hip hop ou entièrement “roots”. Il retrouve ainsi l'énergie primordiale du "Ngo" ("léopard" en kikongo).”

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Tambours de Brazza : quand les griots parlent aux rappers

Depuis les années 1940, la guitare, la basse et la batterie sont devenus les incontournables de la musique congolaise tandis que la sanza et les tambours étaient inscrits dans les musiques villageoises. Fondateur en 1991 des Tambours de Brazza, Jean-Emile Biayenda fait revivre les tambours ngouris, ngomas et balas et les croise avec le lokolé (tambour à fente fait de tronc d’arbre), la sanza, la batterie, les cymbales et les bongos, proposant une musique novatrice loin des structures orchestrales traditionnelles. Le groupe comprend alors Fredy Massamba, Hyacinte Massamba, Randall Kanza, Basile Ntsika, Pierrick Nzoungani, Mbizi Vivien, Fancky Moulet…

Le parcours éclectique de Jean-Emile Biayenda

Originaire d’Avinza, Jean-Emile Biayenda a multiplié les expériences musicales originales : Jah Children, un groupe de reggae, le Trio Biks Bikouta, amateur de be-bop, Nzongo Soul promoteur du style wala, l’African Brass Band, un groupe d’afro-jazz. “Quand je suis arrivé à Brazza en 1979, j’ai eu la chance de côtoyer des gens comme Biks Bikouta qui était un ami de John Coltrane. C’est Biks qui nous a appris à jouer le jazz, le be-bop, à faire des animations. Moi, j’avais suivi d’autres voies musicales. J’ai débuté dans les chorales et dans les kioussas, des ensembles de percussions qui sont aussi des groupes de fraternité comme les qilombos du Brésil”, confie-t-il. Jean-Emile Biayenga se penche également sur les musiques pygmées. “J’étais intéressé par leurs polyphonies vocales, leur jeu de sanza et leur philosophie de la musique. Peu de gens surtout les musiciens de jazz, comprenaient ma démarche. Chez nous, les pygmées sont méprisés. Leur façon d’habiter la musique me fait pourtant penser à un grand jazzman, Ornette Coleman”. Il ne tarit pas d’éloge à propos de celui qu’il considère comme un de ses principaux inspirateurs : “La première fois que je l’ai écouté, j’ai eu un sentiment de révolte, je trouvais sa musique trop libre. Puis progressivement, elle m’a replongé dans les fêtes traditionnelles de chez moi. Et puis j’ai enfin compris : c’est cette influence de la musique traditionnelle qui m’a permis de comprendre certaines bases rythmiques du jazz. Pour un batteur africain, c’est l’essence même du jeu. Elle t’apprend à être un musicien à part entière, te sort de ta coquille de garant du tempo, une fonction que l’on a trop tendance à imposer au batteur”.

Multi-instrumentiste (ngoma, lokolé, batterie, percussions, vocales et corporelles, cajon, bambous, pailles, tambourin, cymbalettes, woodblocks, carillon, triangle bambou, cymbales, tambour malabar, guiro, sanza, xylophone), Emile Biayenda est aussi un conteur que l’on retrouve dans « L’Afrique des Grands Lacs : Rondes, Comptines et Berceuses » et « Un P’tit Pouce qui marche (Chansons douces des premiers pas des tout-petits) » (2010), « La savane danse » (2016) ou encore « Cap-Vert : Rondes, comptines et berceuses » (2017).

La philosophie des percussions congolaises

La philosophie des percussions congolaises va profondément affecter sa technique de batteur. “Dans la percussion au Congo, il y a une trilogie, ngouri, le tambour grave qui représente la mère, et les deux balas, les deux tambours d’accompagnement, qui représentent les enfants. Le père en tant qu’instrument n’existe pas, il vient jouer sur le ngouri, la mère. La façon même dont il porte le tambour grave est d’ailleurs très phallique. En prenant conscience de ce jeu spirituel, social, j’ai modifié mon jeu de batterie. J’ai refait ce trajet vers le passé comme l’esclave qui serait retourné au pays natal. Dans la batterie, j’ai compris que l’on retrouvait cette structure ancestrale. Toutes les sections d’un groupe traditionnel y sont représentées. La grosse caisse représente le ngouri, la caisse claire et les toms, les balas, les cymbales, les maracas. La batterie est une simple transposition des tambours traditionnels africains”.

Le jazz

Du jazz, Jean-Emile Biayenda retient le côté structurel des morceaux, la démarche, le temps des morceaux qu’il conçoit comme de véritables tableaux. “En Afrique, le morceau commence quand le tambour est chauffé, il s’arrête quand il est froid. Cela peut durer cinq heures. Pour faire un morceau de percussions de cinq minutes, je prend la structure be-bop AABA, je fais l’intro, il y a le thème, l’improvisation puis le thème revient , on refait le pont et le morceau se termine. Ca permet de mettre les musiciens en valeur”. Contrairement à la structure traditionnelle qui s’en tient à quatre tambours, Jean-Emile Biayenda monte un groupe de douze batteurs. “Il y a quatre accompagnateurs et deux médium. A un moment précis, les quatre solistes jouent les mêmes partitions puis, il y a une phase d’improvisation où chaque soliste peut s’exprimer. Moi j’intervient à la batterie, je crée un conflit batteur/percussionniste pour pousser le niveau, faire des solos, garder ce côté compétitif. (dans les groupes traditionnels, c’est un moment initiatique). La batterie devient un peu l’écho du tambour”.

Les musiciens : du trad au hip hop

Formé à l’origine dans le quartier de Bacongo, les Tambours de Brazza réunit des musiciens initiés en forêt, des jeunes issus de la scène hip hop, des jazzmen. “Chacun apporte ce qu’il a trouvé dans son milieu et le point commun, c’est le tambour. La batterie sert aussi de repère. Elle reste un élément moteur, je la divise en deux, un côté terrestre comme la musique traditionnelle et un côté aérien comme le be-bop. Pour donner la couleur rock, il faut s’adapter. En Afrique, on tape sur le premier temps, en Europe, sur le second. Le troisième temps, le reggae, c’est le temps de la souffrance, le coup de fouet”.

Exil

Le groupe tourne alors en Afrique et en Europe, mais en 1997, le génocide perpétré à l’égard des populations du Sud, dans le quartier de Bacongo, en particulier, met à mal la formation, pluriethnique. “On était de toutes origines, du Nord, du Sud.Il a soudain été très risqué pour certains musiciens de nous rejoindre pour les répétitions. J’ai décide de m’installer à Angoulême”.

Héritiers

Aujourd’hui, le tambour a fait des émules au Congo et les jeunes des quartiers comme le groupe Yela Wa ou Les Tambours du Congo ont décidé de suivre l’exemple d’Emile Biayenda, pour que le tambour non seulement vive mais s’ouvre au monde.

Les instruments

Les tambours sont fabriqués à partir du nsenga, une forme de palétuvier. Le nsenga présente beaucoup d’avantages : sa fibre est droite, elle ne casse pas et ne bouge pas. Une fois le bois creusé, il faut sécher le tambour un mois à l’ombre. Bois léger, blanc, il possède une très bonne sonorité.
Quant à la batterie, Emile Biayenda utilise diverses marques mais a un penchant pour une batterie « Sonor ». “Elle a un son très précis. Entre les tambours très légers et très lourds, il me fallait un son qui se classe au milieu”.

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À propos de l'auteur

Sylvie Clerfeuille

Sylvie Clerfeuille

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