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“Auteur-compositeur, guitariste expert et chanteur, né le 31 octobre 1939 à Kanaou au Mali, Ali Ibrahim Touré aka Ali Farka Touré a su fondre des styles de diverses régions allant de la tradition hassania maure aux rythmes bambara, songhaï, pulaar et tamachek, initiant un blues sahélien original. Cet artiste qui a croisé ses cordes avec Taj Mahal, John Lee Hooker, Ry Cooder ou Toumani Diabaté, est un des rares artistes africains à avoir décroché plusieurs Grammy Awards aux USA. Artiste devenu maire, Ali Farka Touré décède le 7 mars 2006 à Bamako, au Mali, des suites d’un cancer. Il avait 67 ans. ”

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Niafounké, le village d’adoption

Originaire de Kanaou, le village de son père Boureima Touré (honomyme de son fils Boureima Touré aka Vieux Farka Touré), dans l’arrondissement de Modjokwé, préfecture de Gourma-Rharous, sur les rives du fleuve Niger à 65 km de Tombouctou (nord du Mali), Ali Ibrahim Touré est issu de la noblesse Arma (proche de l’ethnie Songhaï). Sa mère est une descendante de la chefferie des Bamba de Bourem Bamba, une famille d’essence noble également. Son surnom “Farka” qui signifie “âne” du fait du caractère difficile de l’animal, de sa résistance et de sa force lui est donné parce qu’il est le 10ème enfant de la famille à avoir survécu à la maladie dans son enfance, contrairement à ses frères et soeurs. Lorsque son père, militaire dans l’armée française, meurt pendant la guerre 1939/1945 alors qu’il est tout petit, la famille part s’installer à Niafounké (“enfant de la même mère” en songhaï), à 250 km au sud-ouest de Tombouctou.
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Kanté Facelli, Keïta Fodéba et Kouyaté Sory Kandia

Comme tous les enfants de cette région agricole aux langues multiples (songhaï, peule, tamachek, bambara, zarma, malinké…), Ali Farka Touré passe ses journées aux champs mais s’intéresse déjà à la musique et défie sa famille en s’initiant aux instruments du pays : ngoni (luth à 4 cordes), njarka (violon à 1 corde), njurkel ou djourkel (sorte de mandoline de 1 à 4 cordes), (flûte peule) et molo (luth monocorde) – chez les nobles la musique est réservée aux djélis (griots). En 1956, il découvre, lors d’un gala à Bamako, les Ballets Africains de l’écrivain, dramaturge, compositeur, metteur en scène et homme politique Keïta Fodéba. Mais il est surtout marqué ce soir-là par le guitariste Kanté Facelli et le chanteur Kouyaté Sory Kandia dont il tombera sous le charme de son exceptionnelle voix aux multiples octaves. Ce spectacle détermine bientôt les choix instrumentaux de cet ex chauffeur de taxi : la guitare sur laquelle il transpose la technique de jeu bluesy du molo, le banjo, l’accordéon, les percussions et la batterie. Employé comme chauffeur administratif dans un dispensaire, Ali Farka Touré profite de la guitare d’un des infirmiers et commence à reprendre des airs traditionnels avant de se mettre à la composition. A la même époque, il rencontre l’écrivain Amadou Hampâté Bâ avec qui il se lie d’amitié et parcourt le pays à la découverte du patrimoine culturel et musical national. Il dédiera plus tard à son ami de la noblesse peule, « Gambari », un magnifique blues chanté en halpulaar.

Premier trophée aux Biennales

A l’indépendance du Mali en 1960, le gouvernement socialiste du président Modibo Keïta qui entendait promouvoir sa politique d’authenticité et revaloriser le patrimoine culturel et artistique national, crée des troupes artistiques et culturelles dans chacune des six régions (Gao, Mopti, Kayes, Sikasso, Koulikoro, Tombouctou). Ali Farka Touré décide de faire de la musique son métier et intègre comme auteur, compositeur, guitariste et chanteur la Troupe 117 composée de 117 instrumentistes, chanteurs et danseurs. Ensemble, ils tournent dans tout le pays et participent aux biennales, remportant le premier Prix à la Biennale Artistique et Culturelle de Mopti en 1961. Parallèlement, il fait du sport et remporte de nombreux trophées car, dira-t-il plus tard, “Si je ne l’avais pas fait, mon village ne gagnerait rien… Je veux aider mon village.” Il accompagne aussi divers groupes ou chanteurs, enregistrant même en 1963 une chanson en songhaï sur un rythme afro-cubain. A l’avènement de l’Orchestre Régional de Mopti, il fait partie brièvement de l’aventure de la formation qui sera rebaptisée Orchestre Kanaga de Mopti.

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Radio Mali

En 1967, un ami étudiant à Bamako lui fait découvrir le blues, la soul et le rythm’n blues américains à travers les disques de John Lee Hooker, Albert King, B.B. King, James Brown, Otis Redding, Wilson Pickett, Jimmy Smith… Il se reconnaît aussitôt dans ces musiques qu’il trouve très proches de ses sensibilités musicales. Il est surtout marqué par le blues de John Lee Hooker qu’il pensait venir du Mali mais est en même temps surpris qu’il soit chanté en anglais (il le rencontrera bien plus tard). A la mort d’Otis Redding le 10 décembre 1967, son groupe observera une semaine de deuil. En 1968, année du coup d’état de Moussa Traoré renversant Modibo Keïta, Ali Farka Touré (guitare, flûte, djerkel, njarka) sort pour la première fois de l’Afrique pour représenter le Mali au Festival International des Arts à Sofia (Bulgarie), en compagnie, entre autres, de Kélétigui Diabaté (balafon) et Djélimadi Tounkara (guitare), deux grandes figures de la scène malienne. Leur musique mandingue rappelant le blues remporte un vif succès dans la capitale bulgare où il achète le 21 avril 1968 sa première guitare.

En 1970, Ali Farka Touré quitte Niafounké pour Mopti puis rejoint Bamako et l’orchestre de la Radio Nationale du Mali où il travaille également comme ingénieur du son. A la dissolution de l’orchestre en 1973, un ami journaliste lui conseille d’envoyer ses enregistrements de la radio au label Sonafric à Paris. Ainsi sort en 1976 son premier opus, Ali Touré “Farka” (Bandalabourou), un album éponyme réalisé avec Nassourou Sarré au ngoni et lui à la guitare, suivi en 1978 de Ali Touré “Farka” (Yer Sabou Yerkoy).

Le bluesman sahélien

Affublé de sa guitare, de son molo, de son njarka et de sa voix de ténor nasillée et si singulière, Ali Farka Touré s’oriente alors vers une carrière solo et se mue en globe trotter, construisant au fil des pays traversés et de leurs radios, sa réputation de « John Lee Hooker Africain !!! ». Naviguant de la guitare acoustique à la guitare électrique, et soutenu par la calebasse comme percussion, il distille des phrasés profonds et lancinants en songhaï, peul ou tamachek, souvent faits de métaphores et de proverbes. La parution en 1979 chez Sonodisc de son album « La drogue », révélant au public européen son blues sahélien unique, ample, ciselé, tendre, brusque, âpre, terrien devait signer son véritable envol. Mais un différent l’opposant à son label met fin à cette collaboration : “J’avais un contrat de cinq disques chez Sonodisc mais c’était du pur truandage qui s’est terminé au BMDA (Bureau Malien du Droit d’Auteur). Le directeur de Sonodisc m’a même menacé d’un revolver mais rien ne m’arrête. J’ai gagné mon procès et je continue à toucher mes droits d’auteur”. Le label sortira en 1988 un second disque, Sidy Gouro. Ces deux réalisations feront l’objet d’une double compilation en 2004, Red & Green (World Circuit) : Red (La drogue), Green (Sidy Gouro).

World Circuit

C’est à cette époque que les radios anglaises commencent à s’intéresser à lui et ses morceaux diffusés sur les ondes séduisent les responsables du label World Circuit, Mary Farquharson, Nick Gold et Anne Hunt. En 1987, cette dernière se rend à Bamako à la recherche du bluesman sahélien, aidée par le virtuose de la kora, Toumani Diabaté, qu’elle a connu à Londres. A la suite de ce voyage, un contrat est alors signé pour le premier concert d’Ali Farka Touré en Angleterre en 1988. La même année sort chez World Circuit Ten songs from the legendary singer from Mali entièrement joué par l’artiste (guitare acoustique, calebasse, bongos et voix), à l’exception de “Amandrai”, un morceau d’origine tamachek réalisé avec Toumani Diabaté (calebasse). Cet album offre des chants de sources diverses : “Timbarma” joué dans une gamme pentatonique est un morceau traditionnel maure, “Singya” composé par Sira Mory Diabaté est typiquement malinké, “Bakoyé” est une prière arabe chantée en songhaï et “Yulli” chanté en fula (peul) est composé par l’artiste en 1968. C’est la reconnaissance internationale. Ali Farka Touré diffuse alors son mélodieux blues sahélien sur les scènes d’Europe, des Etats Unis, d’Afrique, du Canada, du Brésil et du Japon.

Blues sahélien contre blues américain

En 1990, Ali Farka Touré s’engage dans l’aventure The River, un opus marqué par son éclectisme musical. Réunissant divers artistes, il propose un blues mandinguo-songhaï rehaussé par le sax de Steve Williamson (Ai bine), les lignes de violons irlandais de Sean Keane et Kevin Conneff des Chieftains (“Kenouna”), les percussions et calebasse d’Amadou Cissé, le ngoni de Mamaye Kouyaté et l’harmonica de Rory McLeod dans “Heygana” au beat reggae. En 1991, il joue avec John Lee Hooker, croisant son “baula” (blues original malien) au blues de ses lointains cousins américains. “Lors d’une tournée américaine en 1989 où j’ai joué au New Port Jazz Festival, les journalistes ont demandé à John Lee Hooker de jouer avec moi. Il est venu me voir mais a refusé de jouer, déclarant que j’étais le seul à assurer sa relève après sa mort. Mais moi, je mène mon chemin, je n’assure pas sa relève. Je suis la source. Il est sans ethnie. Lors de notre rencontre à Paris en 1991, je lui ai proposé de venir à Tombouctou à la recherche de ses racines. Le mot «~blues~», ce sont les Occidentaux qui l’ont créé. Nous, on appelle notre musique « baula » (le bleu), c’est-à-dire l’image des paysages dans l’eau du fleuve”.

Grammy Awards

Dans l’œuvre suivante, The Source (1992), en référence à l’origine du blues, l’artiste malien poursuit cette expérience en s’offrant un magnifique dialogue de guitares avec le bluesman américain d’origine jamaïcaine, Taj Mahal. Mais la consécration vient en 1994 avec Talking Timbuktu, en hommage à Tombouctou, haut lieu intellectuel et spirituel de l’islam en Afrique aux XVe et XVIe siècles. Réalisé à Los Angeles avec le producteur américain Ryland Peter Cooder dit « Ry Cooder » (guitare électrique, mandoline), deux musiciens de son groupe Asco, Oumar Touré (congas) et Hamma Sankaré (calebasse), et des invités tels que Clarence « Gatemouth » Brown (viola, guitare électrique), Jim Keltner (batterie), John Patitucci (basse), Talking Timbuktu est couronné en mars 1995 au 37ème Grammy Awards aux USA, la plus haute distinction décernée à un artiste. Après cet immense succès planétaire et la longue tournée internationale qui s’ensuit, Ali Farka Touré retourne consacrer une bonne partie de ses gains au développement de l’agriculture et de l’élevage de Niafounké, le village dont il est maire. Pendant ce temps, World Circuit sort le CD Radio Mali (1996), dévoilant au grand public des enregistrements originaux des années 1970 où l’artiste faisait les beaux jours de l’orchestre de la radio nationale, une période charnière de l’évolution artistique du bluesman sahélien.

Niafunke

Trois ans plus tard, munis d’un studio mobile, le producteur Nick Gold et l’ingénieur du son Jerry Boys se rendent à Niafounké pour enregistrer Ali Farka Touré dans son environnement. Niafunke, album blues très authentique réalisé entre ses déplacements dans les champs, les montages de pompes à eau et les constructions de canaux d’irrigations, sera d’une grande réussite artistique. Il y parle de la fin de l’apartheid (« Pieter Botha »), de l’importance de l’éducation, notamment scolaire (« Jangali Famata »), et y rend hommage aux musiciens de son groupe Asco qui l’accompagnent depuis de nombreuses années (« Asco »). Un espace culturel portant son nom sera créé à Niafounké.

Du Mali au Mississipi

Les années qui suivent verront Ali Farka Touré, atteint d’un cancer, plus dans les hôpitaux maliens et parisiens que sous les sunlights. Mais la passion de la musique est plus forte. Il participe en 2003 au film documentaire Du Mali au Mississipi de l’Américain Martin Scorsese, un voyage depuis les champs de coton et les arrière-salles bricolées du delta du Mississipi jusqu’aux rives du fleuve Niger, au Mali, afin de retracer les origines du blues.

Plus tard, il réalise sans répétitions préalables son ultime album en duo avec le « korafola » (joueur de kora) expert Toumani Diabaté dans In the heart of the moon, une rencontre de deux générations mais aussi une rencontre inédite entre la gamme pentatonique de la guitare et du blues songhaï d’Ali et celle heptatonique de la kora et de la musique mandingue des nyamakala de Toumani Diabaté – il a joué dans les années 1960 avec son père Sidiki Diabaté. Enregistré en une semaine dans un studio mobile installé par Nick Gold à l’hôtel Mandé à Bamako, sur les bords du fleuve Niger, ce premier album d’une trilogie revisite les grands classiques de la musique mandingue de kora comme « Kaïra », « Debé », « Bala », « Mamadou Boutiquier »… Un magnifique disque qui lui vaut un second Grammy Award en 2006, le premier pour son jeune compatriote Toumani Diabaté qui lui rend hommage dans « Monsieur le maire de Niafunké ».

La voix universelle du blues sahélien s’est éteinte

Rongé par la maladie et ne pouvant rester longtemps debout, Ali Farka Touré continuera à honorer ses engagements jusqu’à sa disparition le 7 mars 2006 à Bamako, le jour même où son producteur Nick Gold atterrit au Mali pour lui remettre son second Grammy Award : concert de promotion à Bruxelles (Belgique), parrainage du festival Images et Paroles d’Afrique de Privas en France (il est accompagné pour la première fois sur scène par son fils Vieux à la calebasse) et participation à l’enregistrement de deux titres (« Tabara », « Diallo ») de l’album éponyme de son fils, Vieux Farka Touré, sorti peu après son décès.

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Comme son père dont il a hérité sa fameuse guitare noire, Vieux Farka Touré perpétue le style musical parti de Niafounké et qu’il maîtrise parfaitement. Le « roi du blues du désert » ne verra pas non plus la parution de ses ultimes enregistrements au studio mobile à l’hôtel Mandé et au studio Bogolon à Bamako avec un groupe traditionnel dont Fanga, le vétéran du njarka (violon à une corde) : Savane produit par son vieil ami Nick Gold est un album testament à la fois déchirant, émouvant et vivant.

En 2010, quatre ans après sa mort, un autre Grammy Awards lui sera décerné pour l’album Ali & Toumani réalisé avec son compatriote en duo avec son compatriote Toumani Diabaté

La famille musicale malienne décernera lors des Trophées de la Musique au Mali en décembre de la même année le « Tamani d’hommage » à cet illustre enfant du pays, voix universelle du blues sahélien.

Crédits photos : World Circuit

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Nago Seck

Nago Seck

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  • […] Noun Yaré collabore ensuite avec Djamo Record qui le produit sur plusieurs scènes camerounaises, n…, Tracy Chapman, Geoffrey Oryema, Lokua Kanza ou encore Julien Jacob crée un groupe et opte pour une musique acoustique, fusion de chansons inspirées de l’imaginaire Bamoun (un des peuples du Cameroun) et de sonorités d’autres horizons (makossa, afro-jazz, blues, bossa nova, samba, reggae), et jouée avec guitare, percussions, violoncelles et clarinettes…Après plusieurs concerts et festivals (Festival Villes des Musiques du Monde, Maroquinerie, Festival Soliday’s, 1ère partie de l’Orchestra Baobab du (Sénégal) ou encore d’Afel Bocoum du Mali. […]

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