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“Né le 15 octobre 1938 à Abeokuta, au Nigeria, Fela Anikulapo Kuti est un auteur-compositeur, arrangeur, chanteur-dénonciateur et multi-instrumentiste (saxophone, piano, clavier, clarinette, trompette, guitare, percussion). Fela incarne non seulement un courant musical, l’afro-beat dont il est le précurseur avec son ami Tony Allen, batteur araignée à la polyrythmie puissante et inimitable, mais aussi une idée : “la musique comme arme culturelle et politique”. Fela Anikulapo Kuti décède le samedi 2 août 1997 à Lagos, des suites du sida et de problèmes cardiaques...”

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Symbole

Efficace, martelé comme le pouls d’un pays vivant la violence du post-colonialisme, de la dictature et de la corruption, l’afro-beat de Fela Kuti – de son nom de naissance Fela Hildegart Ransome – et ses textes puissants et sans compromis ont hissé l’enfant né le 15 octobre 1938 dans la ville créative et rebelle d’Abeokuta (Nigeria) en héros de tout un continent et de toute une jeunesse africaine en révolte. Son ami Wole Soyinka, écrivain et premier auteur noir lauréat du prix Nobel de littérature en 1986, y est aussi né le 13 juillet 1934.

Mama Funmilayo, la militante

Petit-fils d’un célèbre compositeur de musique d’église, le R.P. Canon J.J. Ransome Kuti, fils du pasteur Israel Oludotun Ransome Kuti, et de Funmilayo Ransome Kuti, de son vrai nom Francis Abigail Olufunmilayo Thomas (1900-1978) institutrice, figure de proue du combat nationaliste et de la lutte des femmes, Fela Kuti a été doublement influencé dans sa vocation artistique et dans son engagement politique.

Victor Olaiya, le jazz et Koola Lobitos

Sa rencontre, à l’âge de seize ans, avec Victor Olaiya et son groupe The Cool Cats, dont il devient le chanteur, sera déterminante dans le choix de sa carrière. Parti en 1958 à Londres étudier l’arrangement et la trompette au Trinity College of Music, il y découvre le jazz de John Coltrane, Charlie Mingus et Miles Davies. Marqué par ces grands compositeurs, il forme trois ans plus tard, avec le batteur Jimo Kombi Braimah et quelques musiciens de la diaspora, le groupe Koola Lobitos qui inonde les fêtes universitaires et les jazz-clubs britanniques de highlife jazz jusqu’à son retour au Nigeria en 1962. C’est en Angleterre qu’il rencontre Remilekun Taylor (d’origine nigériane et américaine) avec qui il se marie et avec qui il aura un fils, Femi, et deux filles, Yeni Kuti et Sola Kuti.

Geraldo Pino, le Sierra-Léonais

Producteur pendant quelques mois à la Nigeria Broadcasting Corporation, Fela explore des courants musicaux du continent et intègre la juju à son highlife jazz. C’est en 1966 que Fela change réellement de cap à l’occasion du passage à Lagos de la star highlifesoul sierra-léonaise, Geraldo Pino, une véritable révélation pour le jeune artiste. Au-delà du glamour, la leçon est brutale : Fela réétudie son style et après un séjour à Accra en 1967, haut lieu de la musique de l’époque, ouvre son propre night-club, l’Afro Spot, et lance le courant afro-beat avec son complice, batteur et rythmicien exceptionnel Tony Allen.

La guerre du Biafra et Sandra Smith

La guerre du Biafra bat alors son plein et Fela encore peu politisé prend conscience des problèmes de l’Afrique. « Je n’aimais pas la guerre du Biafra… Elle a marqué le début de la corruption au Nigeria » dit-il. Mais c’est surtout son séjour à Los Angeles, aux Etats Unis, et sa rencontre à l’hôtel L.A’s Ambassador en 1969 avec Sandra Akanke Isidore, née Sandra Smith à Los Angeles, une danseuse et militante des Black Panthers, qui déterminent son engagement politique. Fela et Sandra chanteront en duo sur le titre « Go Slow » de l’album « Upside down », réalisé en 1976 avec Africa 70.

Cette expérience américaine lui permet de côtoyer la chanteuse Esther Philips et les comédiens John Brown et Stu Gilliams. Il se produira même à la Citadelle d’Haïti, un club de Los Angeles tenu par Bernie Hamilton, le futur boss de de la série télévisée « Starsky et Hutch ».

La musique comme arme culturelle et politique

De retour au Nigeria, Fela Kuti se sert de sa musique comme d’une « arme » contre le pouvoir, nomme son groupe Africa 70, enregistre « Buy Africa » (acheter l’Afrique) et rebaptise son club le « Shrine » (le “temple” ou le “sanctuaire” en anglais) qui devient le temple de l’afro-beat et de la contestation. Sa popularité gagne bientôt tout le pays et même le continent grâce à des morceaux devenus célèbres comme Zombie, Shakara, Lady ou encore No agreement.
Pour toucher un public très large, Fela utilise le « pidgin », un argot nigérian parlé dans le pays, pour véhiculer ses messages. Le « pidgin » nigérian, aussi appelé Broken English ou Pidgin English est un créole à base lexicale anglaise, parlé dans tout le Nigeria. Le « pidgin » est aussi parlé, avec quelques nuances, au Ghana, au Liberia, en Sierra Leone ou encore au Cameroun.

Fela Kuti fonde alors la « République de Kalakuta » où vivent ses musiciens, ses femmes choristes-danseuses et sa mère, un pied de nez aux autorités nigérianes. Ce bras de fer qu’il engage avec le régime se traduit par des arrestations incessantes.

Sorrow, Tears and Blood

La mise à sac de sa concession par l’armée dans la nuit du 18 février 1977 en réponse au contre festival qu’il a organisé lors du FESTAC de Lagos, attirant des journalistes du monde entier, renforce sa renommée internationale. Ce tragique événement se soldera par la mort de sa mère défenestrée, par un non lieu pour la dictature militaire à laquelle il intente un procès, et par deux disques aux textes virulents : « Sorrow, Tears and Blood » (tristesse, larmes et sang) et « unknown soldier » (le soldat inconnu).

Black President

Après un exil au Ghana, Fela Kuti repart au combat, fonde « Kalakuta II », fait un concert remarqué en 1979 au Festival de jazz de Berlin puis crée son propre parti, le Movement of the people (MOP) et annonce sa candidature aux élections présidentielles de 1983. Afin de recueillir des fonds pour sa campagne, Fela se lance dans une grande tournée internationale et sort « Black President ».

Fela en prison

Les persécutions dont il est l’objet affaiblissent sa carrière artistique et entraînent la désertion de plusieurs de ses musiciens et de ses femmes. Mais Fela, dont on oublie qu’il est aussi un excellent pianiste, ne désarme pas, monte une nouvelle formation, Egypt 80, et réalise « Army Arrangement » qui accuse le gouvernement de détourner les fonds du FMI.

C’en est trop pour le pouvoir qui l’arrête sur une fausse accusation le 4 septembre 1984 alors qu’il se rend aux Etats-Unis pour le mixage de son disque. Condamné à 5 ans de prison, Fela Kuti est relâché deux ans plus tard grâce à la mobilisation des artistes africains (Mory Kanté, Xalam, Ghetto Blaster, Ray Lema, Idrissa Diop, Yebga…..) qui organisent La Caravane Jericho et tournent dans de nombreux pays européens.

Marqué par les épreuves, Fela part en guerre contre les producteurs occidentaux dont il conteste les arrangements (Bill Laswell pour « Army Arrangement ») et décide de reprendre le contrôle de sa création : il supervise en 1989 le mixage de « Beasts of no Nation » et concocte avec le Béninois Wally Badarou le titre Just like that.

Fela: légende de la musique africaine

Artiste rentré dans la légende, Fela Anikulapo Kuti voit quelques mois plus tard la sortie par Yaba / WMD d’une trilogie retraçant de 1975 à 1986 la création artistique du père de l’afro-beat. Des années après les sorties de « Original Sufferhead » (1991), des titres enregistrés entre 1981 et 1984, et « Fela’s London Scene » (1994), des morceaux réalisés en 1971 à Londres avec son groupe Nigeria 70, Fela Kuti a eu des démêlés avec la justice de son pays. En effet, il est à nouveau jeté en prison, en avril 1997, pour usage de cannabis par le département nigérian de lutte contre la drogue qui avait lancé un grand raid au « Shrine », son night-club situé au nord de Lagos (Nigeria). Son arrestation suscitera de nombreuses manifestations et l’organisation, à Paris, d’un gala de soutien pour sa libération sous la houlette de son ex-trompettiste Ponpon et du saxophoniste camerounais Ben Belinga.

La voix du rebelle s’est éteinte

Fela Anikulapo Kuti disparaît le samedi 2 août 1997 à Lagos, au Nigeria, des suites du sida et de problèmes cardiaques. Son enterrement auquel assiste un million de personnes est un véritable deuil national.

Héritage

Ses enfants, Femi et son petit-frère Seun considéré comme la réincarnation de son père (tous deux auteurs, compositeurs, saxophonistes et chanteurs engagés) et leurs petites sœurs Yeni Kuti et Sola (danseuses, chanteuses et choristes), poursuivent son œuvre musicale (afro-beat), adoptant aussi ses idées comme porte-paroles des sans-voix et dénonciateurs de toutes formes d’injustice.

Made Kuti, le petit-fils

Dans les années 2000, son petit-fils Made Kuti, fils de Femi perpétue l’œuvre de la famille. Marqué par le jazz anglais et l’afro-beat, Made Kuti, est un auteur-compositeur et multi-instrumentiste (saxophone, trompette, piano, basse, batterie). Il joue au sein du groupe Positive Force de son père Femi, et a sorti en février 2021 son premier album personnel, « For(e)ward ». Cette œuvre est présentée dans le pack Legacy + comportant également le nouvel album de son père, « Stop the Hate » auquel il a participé.

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Nago Seck

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