Mamterry
Originaire du village d’Eyeng Meyong, dans la région de la Lékié, Sally Nyolo, née en 1970, a été influencée par sa tante Mamterry, une grande chanteuse des Eton, diva du bikutsi, à qui elle rendra hommage dans son album « Tribu ». « Elle a participé à ce qui constitue l’esprit de ma musique », dit Sally qui se rappelle avec émotion son héroïne lavant la douleur de la perte d’un être cher lors des funérailles grâce à la beauté de son chant. « On m’a raconté qu’elle venait souvent me voir alors que j’étais encore un bébé. Elle « scatait » et moi, je dansais ».
Collaborations
A l’âge de treize ans, changement de décor : Sally Nyolo découvre les Yvelines puis enchaîne sur la fac de droit quelques années plus tard. Au cours de ses années d’adolescence où l’esprit et la vision se construisent, elle s’installe dans la musique, toutes les musiques, avide de sons et de sensations. Elle collabore bientôt avec divers artistes en assurant les chœurs : Nicole Croisille, Tony Child, Sixun, Touré Kunda, Jacques Higelin.
Ce dernier marque son destin : « J’étais un peu intimidée par la scène, il a été un déclic. Au Casino de Paris, chaque soir, le même public revenait, des gens en fauteuil roulant qui reprenait toutes ses chansons. Il les soignait !! C’est lui qui m’a appris à défendre l’esprit de ma musique. Il est venu lors d’un de mes concerts au New Morning, il est monté sur scène, a eu cette jolie phrase de poète “Sally a un petit sac à main sous le bras mais non c’est une percussion”, nous a accompagné le temps d’un morceau et nous a tous invités après le spectacle. C’est un grand monsieur ».
Djini Djome
Entre tournées et enregistrements, Sally nourrit pourtant sa future carrière solo, chante et compose pour un feuilleton de France Culture, travaille sur le film “Brooklyn Boogie” de Paul Auster et Wayne Wang et participe en 1994 à la compilation Around twenty tracks produite par Dave Bottril sur le label Real World de Peter Gabriel et rendu célèbre par le morceau « Djini Djome ».
L’aventure Zap Mama
Sollicité par Marie Daulne, elle intègre bientôt les Zap Mama où elle tient le rôle de groover. “Je venais d’achever mon premier album solo quand Marie Daulne m’a appelé et m’a dit “Sally, tu es mes racines”. Chanteuse mais également compositrice – elle signe “The Mamas of the Mamas” (“Les mamas des mamas”) dans l’album « Sabsylma ». L’ambition de Zap Mama, c’est de chanter toutes les langues du monde, d’effacer cette tour de Babel que Dieu érigea pour diviser les hommes.
“Ces franco-congolo-belgo-camerounaises” vont ainsi puiser dans le vivier infini des “bruissements du monde”, et le réinventer dans leurs compositions. Polyphonies pygmées, éthiopiennes, chants Inuit, les Zap Mama a capella chantent sur toute la planète et redonnent vie à des peuples oubliés, un rêve qui leur vaudra l’attention de chercheurs américains – “Ils écoutaient nos morceaux et pointaient sur une carte toutes les traditions vocales que nous avions utilisées” – ainsi que leur désir de transmission d’un collectage par l’animation de workshops. Cette ambition démesurée va nécessiter un travail herculéen. “Nous répétions 8 à 10 heures par jour toutes ensemble puis travaillions séparément nos parties. Chanter ensemble, c’est s’écouter sans s’écouter, avoir la liberté d’être ou de ne pas être, être ensemble et être soi, libre. Nos voix parfois devenaient instrument, batterie, guitare, percussion, et quand nous avions fini, pour nous détendre, nous chantions, l’une d’entre nous jetait une note puis l’autre lui répondait, naturellement. Marie Daulne a d’ailleurs enregistré tous ces moments d’improvisation dans les chambres d’hôtel, les couloirs!!!”.
Cette expérience qui dure quatre ans renforce cette technique vocale tour à tour fraîche, perlée, chuintante, forme de scat roots qui nourrit son style : un folk métisse et rythmique construit sur une rythmique bikutsi et nourri des bruits de la forêt, des polyphonies pygmées comme des langueurs mandingues. Dans ses textes en français ou eton (la langue de l’ethnie beti), elle rend hommage aux femmes, contant avec humour ou mélancolie leur histoire.
Carrière solo
Sally chante. Elle compose aussi, joue du mvet, du udu et des percussions, sort « Tribu » en 1996, chanté en eton, un hommage à Mamterry. Vendu à 300 000 exemplaires, il lui vaut l’année suivante le prix Découvertes RFI. Suivra deux ans plus tard, Multiculti (hommage au métissage), puis Beti, en 2000, où elle invite le joueur de mvet Andjeng Etaba Pantaléon. Dans Zaïone (du nom de son fils) sorti en 2002 elle s’offre sur une musique aux couleurs bikutsi des duos avec des artistes comme Nicoletta, Nina Moratto, Muriel Moreno ou Jean Jacques Milteau et penche plutôt reggae avec son amie Princess Erika dans « Jah Know ». Sa carrière solo prend bientôt une tournure internationale : Europe, Afrique, Japon: le monde lui ouvre ses portes et des artistes divers lui offrent des collaborations : Martinho da Vila la sollicite pour un duo sur l’album « Conexoes » en 2004, David Murray l’invite sur Pouchkine en 2005, , elle participe en 2006 à l’album Desert Rebel , un projet initié par Abdallah Oumbadougou et Farid Merabet (manager du groupe de rock Bérurier noir) en soutien à la cause touareg; En 2007, le groupe breton Dan Ar Braz enregistrent avec elle les Perles du Nil dont elle assure là avec Tryo la composition et les arrangements de plusieurs titres.
L’esprit de la forêt
Le réalisateur François Bergeron lui consacre deux documentaires : Petits pas en 2001 où l’artiste part à la rencontre des Pygmées et A la Camerounaise en 2005 contant ses aventures de productrice au Mont Fébé, près de Yaoundé où elle a monté un studio d’enregistrement pour produire les artistes locaux. “C’est à l’occasion du tournage de Petits pas que j’ai compris que les Eton et les Pygmées étaient cousins. Ils avaient les mêmes polyphonies, les mêmes tonalités, les mêmes iodles”. Son expérience de productrice aboutit à la sortie en 2006 de l’album Studio Cameroon qui réunit des artistes comme Gisèle Mvo Anji et son frère Gervais Mango, les Didjoi Sisters, Mama Andela, Mandeng, Roger Ngono Ayissi, le joueur du mvet, Mr Eddy, Edmond Fils Nkoa, le maître balafoniste MBassi Emmanuel et La Voix du Cénacle, une chorale très populaire au Cameroun. Cinq ans plus tard,
Sally Nyolo signe avec Sony et sort « La Nuit à Fébé », un album acoustique chanté en eton (sa langue), en français ou en anglais. Cet opus lui vaut le 1° Prix aux “USA Songwriting Competition 2012” dans la catégorie World, avec le morceau « Ombomo ». en mars de la même année, elle obtient le Prix spécial du jury de “Canal 2’Or” pour l’ensemble de sa carrière. En 2013, Sally Nyolo est à nouveau finaliste aux “USA Songwriting Competition”, avec le titre « Meso Wó Yen », extrait de son album Tiger Run (à paraître en 2014), et mai, elle est faite “Chevalier de l’Ordre de la Valeur” du Cameroun.
Riche de cette expérience nouvelle, Sally sort quelques mois plus tard un album personnel très abouti Mémoire du Monde (2007), auquel participent le bassiste Sylvin Marc et le producteur Marcel Aimé. Forte de son expérience bouleversante avec les pygmées, elle propose une musique ouverte, universelle et habitée par l’esprit de la forêt. Suivent La Nuit à Fébé (2011), puis Tiger Run (2014), musicalement le plus riche, poétiquement le plus épanoui, spirituellement le plus profond…
2015 : Mvetkora
En 2015, l’artiste camerounaise se lance dans une aventure inédite : un duo avec Djeli Moussa Diawara, rencontre unique entre mvet et kora, entre Forêt et Sahel.
* Source : Interview de Sally Nyolo par Sylvie Clerfeuille pour Afrique Asie, « Sally, L’esprit de la forêt » – Décembre 2007.
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