Santhiaba : le melting pot culturel
Issus d’une famille de Soninkés installée en Casamance, au Sénégal, les frères Touré grandissent à Santhiaba (« le nouveau lieu » en wolof), un quartier populaire de Ziguinchor où vivent en harmonie des Wolofs, des Peuls, des Mandingues (Socés, Soninkés, Malinkés, Khassonkés, Bambaras…), des Sérères, des Diolas, des Balantes, des Mandjaks, des Diamantes, des Floups, des Mancagnes, des Pepels et des Créoles Portugais (adeptes de mornaet de coladeira)… A la mort de leur père en 1956, Amadou (13 ans), Ismaïla et Sixu Tidiane (6 ans) font leurs débuts dans une troupe théâtrale, La Fraternelle, puis leur aîné intègre à l’adolescence Esperanza Jazz de Ziguinchor en qualité de chanteur. Il forme ses frères au chant puis les fait rentrer dans le groupe. Jusque-là tourné vers la variété internationale (américaine et afro-cubaine), cet orchestre se tourne vers le folklore casamançais par la volonté d’Amadou, désireux de valoriser le patrimoine national.
Mandinka Dong et le méga tube « Emma »
Quelques années plus tard, ils sont rejoints par leur petit frère, Ousmane. Mais cette réunion fraternelle est de courte durée : Ismaïla et Sixu se rendent en Gambie, Amadou part en Mauritanie rejoindre l’Orchestre de la Garde Nationale et Ousmane s’installe à Dakar où il suit des cours de musique à l’Ecole des Arts. En 1975, Ismaïla part pour la France en « éclaireur », participe à la vie associative des immigrés pour lesquels il donne de petits concerts, fait des séances de studio avant de rejoindre le groupe de jazz-fusion/afro-jazz West African Cosmos (WAC) et de composer des jingles pour supermarchés. À l’arrivée de Sixu en 1977, les deux frères créent leur propre formation, Ismaïla do Sixu Touré, et lancent un nouveau concept tiré du « diamba dong » (« la danse des feuilles » en soninké) et que le grand public découvre l’année suivante au festival Africa Fête de feu Mamadou Konté à l’Hippodrome de Pantin : leurs créations musicales inspirées de musiques rituelles de la Casamance chantent en diverses langues (soninké, peul, créole, wolof) la mémoire des grandes figures de l’Afrique et de la diaspora, dénoncent le colonialisme et l’exploitation et appellent à l’unité des peuples sans oublier l’amour. Ce succès naissant les conduit pour plus d’un mois au Théâtre Dunois, une salle parisienne qu’ils rempliront tous les soirs.
La parution en 1979 de « Mandinka Dong » (la danse des Mandingues), l’opus d’Ismaïla Touré & Sixu Tidiane Touré autoproduit grâce à des prêts financiers de divers amis, lance la carrière du futur groupe Touré Kunda. « M’ma » (« maman » en soninké), un titre au riddim reggae dénonçant l’apartheid et les injustices deviendra un méga tube international sous l’intitulé « Em’ma » ou « Emma »… Outre « M’ma », il comprend des chansons comme « Afrika » et « Labrador » qui connaissent elles-aussi d’énormes succès.
En 1980, l’album « E’mma Africa » (Celluloïd) vient confirmer leur notoriété, grâce notamment à « M’ma » (« maman » en soninké), un titre au riddim reggae dénonçant l’apartheid et les injustices et qui deviendra leur méga tube international sous l’intitulé « Em’ma » ou « Emma ».
Pièges du showbiz
Dans une petite cave du quartier de l’Odéon, à Paris, ils rencontrent Roger Chyco Dru (bassiste) et Jean-Claude Bonaventure aka Bona (claviers, guitares, arrangements) qui possède un petit studio d’enregistrement. Avec eux, ils réalisent l’album « Em’ma Africa ». Les compositions et les arrangements conjoints des frères Touré et de Bona (traditions africaines « soninkara » et sonorités jamaïcaines) proposent des tubes : « Africa Lelly », « Baounane », « On verra ça » ou encore une nouvelle version de « Em’ma ». Leur carrière est lancée. Ce début de succès se trouve soudain compromis quand Sixu, parti en vacances en Mauritanie, est arrêté pour vérification d’identité : il a la double nationalité, sénégalaise et mauritanienne, fait apparemment suspect pour les autorités qui exigent une caution. Ismaïla flaire le piège, refuse et joue finalement tout seul au Midem. Sixu sort de prison 170 jours plus tard grâce aux multiples démarches de son grand-frère Amadou résidant à Nouakchott (Mauritanie).
Amadou Tilo
Leur inspiration ne saurait être complète en l’absence de leur aîné qui jouit d’un grand prestige au sein de l’Orchestre de la Garde Nationale mauritanienne. En 1981, Amadou débarque à Paris, apportant une conception musicale plus « root ». Au cours d’un concert à la Rochelle en France, les Touré Kunda font la connaissance de leur futur manager, Olivier Hollard, et du saxophoniste Michel Billiez. Ils créent bientôt leur propre société, Touré Kunda S.A., et sortent « Turu » qui évoque plusieurs thèmes comme la violence, l’amour, les contes et les légendes africaines. Muni de leur vidéo clip, Sixu part faire la promotion de l’album sur le continent africain et se lie d’amitié avec Alpha Blondy en Côte d’Ivoire. Pourtant, à l’aube de l’année 1983, le malheur vient frapper très durement la famille éléphant. Le 25 janvier, lors d’un concert à la Chapelle des Lombards à Paris, le frère aîné, Amadou Touré, est pris d’un malaise sur scène. Il meurt dans l’ambulance avant d’arriver à l’hôpital : dans ses derniers mots adressés à ses frères Ismaïla et Sixu, il les enjoint de poursuivre leur spectacle et leur carrière. Il n’avait que 36 ans. Un hommage lui est rendu au Casino de Paris en compagnie des groupes Mbamina et Xalam. Pour la première fois, Seynabou Diop aka Nabou, étudiante et baby-sitter chez Sixu, monte sur scène et danse à la mémoire du défunt avec le groupe Touré Kunda. « Amadou Tilo » (le soleil d’Amadou), titre dédié au frère disparu, est un véritable chant d’amour.
L’arrivée d’Ousmane Touré
Privé d’un de ses membres, la famille éléphant recherche une troisième voix et une présence. Ousmane Touré quitte alors son poste de professeur d’éducation physique et de chanteur de l’Orchestre de Mauritanie pour rejoindre ses frères à Paris (France), cette même année 1983. Sa puissante voix de soprano et sa présence scénique donnent un coup de fouet au groupe et ré-hausse les mélodies de « Casamance aux clair de lune », une œuvre aux sonorités plus traditionnelles (soninké, wolof, créole). Mais les frères rêvent d’une tournée africaine. Après leur passage au Sommet franco-africain de Vittel, ils achètent un camion scène de 38 tonnes pour couvrir le périple. Le moment fort de cette tournée sera leur passage à Ziguinchor, leur ville natale. A cette occasion, le maire décrète la journée fériée : la famille offre ce triomphe sans précédent à Amadou et se rend au grand complet sur sa tombe. En 1985, les frères font appel à l’arrangeur américain Bill Laswell (Miles Davis, Mick Jagger) qui réalise le disque reggae-soul « Natalia », avec la participation de Bernie Worrel (claviers), Foday Musa Suso (kora, tama ou talking drum) et Ayib Dieng (tambours sabars, djembé). La tournée de promotion qui s’ensuit (Europe, Etats Unis, Japon) confirme leur succès international.
Les couples Mitterrand et Mandela à Paris
Le 6 juin 1990, le président François Mitterrand et sa femme Danielle Mitterrand reçoivent le couple Nelson et Winnie Mandela à Paris, à la suite de la libération du leader sud-africain après 27 ans de prison.
Les deux couples ont marché l’un vers l’autre d’une extrémité à l’autre du Parvis des droits de l’homme (Esplanade du Trocadéro). Une rencontre solennelle, symbolique, qui s’est faite au centre de ce périmètre baptisé » des libertés et des droits de l’homme « . C’est là, dans cette mise en scène, que M. Mitterrand et son épouse Danielle ont choisi de faire connaissance de Nelson et de Winnie Mandela tout juste arrivés de Londres, mercredi 6 juin, pour un séjour de trente-six heures dans la capitale française.
Les deux femmes sont tombées dans les bras l’une de l’autre. Les deux hommes se sont serrés la main chaleureusement. Puis tous les quatre, Winnie, le poing levé, Nelson, agitant le bras, ont marché en direction d’une foule parquée dans des enclos de barrières métalliques par d’imposantes et tatillonnes forces de police qui avaient bouclé tout le quartier. « Le Monde »
C’est à cette occasion que les frères Touré Kunda sont invités pour animer en musique cette rencontre mémorable.
La famille éclatée
Après une traversée du désert de quatre ans et la parution en 1986 chez Trema de « Toubab bi » (le Blanc), un album aux accents funk–pop-rock, Touré Kunda fait sa rentrée parisienne au Palais des Congrès avec Hamidou Touré aka Séta Touré, le quatrième frère venu de Mauritanie. Entourés de nouveaux musiciens, ils montent un spectacle mi-musical mi-théâtral reconstituant une journée d’un village de Casamance, aboutissant à un album live intitulé « Sounké ». Mais un an plus tard, le groupe éclate : Ousmane Touré et Hamidou « Séta » Touré quittent le navire et s’engagent chacun dans une carrière solo. Fidèles au poste, Sixu et Ismaïla, les deux membres fondateurs enregistrent en 1992 « Sili Beto », une production symbole de leur renaissance musicale.
Touré Kunda & Carlos Santana
En 1999, année de la sortie de la compilation « Légendes » en 1999, le Guitar Hero Carlos Santana sort chez Arista Records « Supernatural », où il reprend, avec K. Perazzo, sous l’intitulé « Africa Bamba » (un méga tube international) la chanson « Guerilla » de l’album « Salam » (1990 – Trema) des frères du groupe sénégalais Touré Kunda. Cet un album s’est vendu à 18.000.000 d’exemplaires et a récolté 8 Grammy Awards aux Etats-Unis. Le guitariste américain d’origine mexicaine les invitera lors de la tournée de promotion de l’album. Ils inviteront à leur tour le fameux guitariste pour un featuring sur le titre « Emma Salsa », une version salsa de leur fameux hit « Emma Salsa » de leur « Lambi Golo », paru le 25 mai 2018 chez Soul Beats Records.
Depuis, le groupe Touré Kunda continue à tourné dans le monde et a sorti plusieurs albums dont « Terra Sabi » (2000) ou encore « Santhiaba » (2008), un album qui signe un véritable retour aux sources de leur enfance (Santhiaba est le quartier à Ziguinchor (Sénégal) où les deux frères Ismaïla et Sixu ont grandi). « Santhiaba » croise musique classique (la marche turque de Mozart), chanson française et divers styles qui ont nourri leur inspiration en Casamance (reggae, musique mandingue, sonorités peules, morna et afro-cubain)…
Montreuil – Seine-Saint-Denis
Sixu Touré, l’un des frères du groupe Touré Kunda basé à Montreuil, en Seine-Saint-Denis, où se trouve leur studio d’enregistrement, livre son regard sur cette commune : « Mon frère Ismaël Touré a été conseiller municipal de la ville de Montreuil. Il était fatigué parce que les réunions étaient interminables. Il a dû déposer les armes, sinon il devait renoncer à la musique. A côté du studio qu’on a créé à Montreuil, il y avait un foyer de travailleurs, des Soninkés comme nous, d’autres Africains, des Arabes… On s’est fait beaucoup d’amis là-bas, on rigolait beaucoup et parfois on priait ensemble le vendredi à la mosquée juste à côté. »
[…] Dibango, Papa Wemba, Ricardo Lemvo, Sabine Kabongo, Youssou Ndour Groupes: Tarika, Touré Kunda, Zap Mama Labels: Disques Dom Pays: Cameroun, Cap-Vert, Congo Kinshasa, Madagascar, […]