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“Né le 6 juillet 1938 à Sona-Bata (Bas-Congo), figure emblématique des musiques africaines, notamment de la rumba et du soukouss congolais dont il est le précurseur, François Luambo Makiadi aka Franco est un auteur-compositeur, interprète et extraordinaire guitariste. Surnommé "le sorcier de la guitare" pour son jeu de guitare hawaïenne, créateur du "pachangué", mélange de pachanga et de merengue, Franco disparaît le 12 octobre 1989, suite à une longue maladie…”

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Déchirures familiales

Né le 6 juillet 1938 à Sona-Bata (Bas-Congo) à 100 km de Kinshasa, d’un père Tétéla et d’une mère Kongo, François Luambo Makiadi aka Franco est l’aîné de deux autres frères et d’une sœur : Alphonse Derek Malolo, Siongo Bavon Luambo aka Bavon Marie-Marie (futur leader de Negros Succes) et Marie Louise Akangana. Très jeune, c’est la déchirure. Le père abandonne le domicile conjugal, laissant la mère élever seule ses enfants. Après un deuxième mariage, la famille s’installe à Léopoldville (actuel Kinshasa) mais le ménage ne durera pas longtemps. A nouveau délaissée, maman Mbonga vend, pour nourrir sa progéniture, des beignets dans les marchés des quartiers de la ville (Ngiri-Ngiri, Bassengué, Eyala, Matongé…). A la disparition de son père, François Luambo âgé de 10 ans abandonne l’école (CE2) pour aider sa mère. Afin d’attirer les clients, il interprète, en s’accompagnant d’un harmonica offert par un ami, des chansons de ses idoles, Zakarie Elenga alias « Jimmy à la guitare hawaïenne » et Souleymane Manoka dit « De Saio ».

Dewayon et Luampasi, les initiateurs

A l’âge de 12 ans, le talent du jeune Franco attire l’œil d’un passant, Paul Ebengo Isenge aka Dewayon, le leader de l’orchestre Watama qui le prend sous sa coupe et l’initie à la guitare devenue son instrument de prédilection. Cet apprentissage se poursuit auprès d’un autre guitariste renommé, Albert Luampasi. Trois ans plus tard, Dewayon le présente à son producteur, le Grec Papadimitriou du label Loningisa. Ce dernier lui propose d’intégrer Bana Loningisa (« Les jeunes de Loningisa » en lingala), la formation de son studio d’enregistrement dont font partie Philippe Lando « Rossignol », Pandi Saturnin, Daniel Lubelo « De La Lune », Edo Nganga, Munganya « Roitelet », Bossuma Dessouin, Decca Mputu…Chaperonné par le directeur artistique Henri Bowane, Franco enregistre sa première chanson, « Bolingo na ngaï Béatrice » (Mon amour pour Béatrice) et commence à se faire un nom.

Naissance de l’OK Jazz

Ce succès d’estime arrive aux oreilles d’Oscar Kashama de l’OK Bar qui lui propose de monter un groupe pour animer son club. Il les baptise alors les « OK Boys » (OK = Oscar Kashama, d’autres diront Orchestre Kinois !!!). Le mot jazz étant à l’époque à la mode, cette toute nouvelle formation préfère l’accoler à son nom. C’est ainsi que l’OK Jazz voit le jour le 6 juin 1956. Il comprend Vicky Longomba (voix), Daniel Lubelo « De La Lune » (guitare rythmique, voix), Bosuma Dessouin (congas), Pandi Saturnin (percus), Liberlin de Shoriba Diop et La Monta (percussions, voix), José-Philippe Lando « Rossignol » (voix) et Augustin Moniania « Roitelet » (basse, contrebasse). Ils sont bientôt rejoints par Lièvre (flûte, sax) et Jean-Serge Essous (flûte, sax, clarinette).

Par son charisme, sa renommée et ses talents multiples (auteur-compositeur, guitariste, percussionniste, chanteur…), Franco en devient rapidement le leader et s’illustre par le « pachangué », une fusion de rumba, de pachanga, de cha cha cha et de merengue marquée par la « steel guitar » (guitare hawaïenne).

En 1957, les Brazzavillois, Jean Serge Essous et Philippe Lando « Rossignol », quittent l’OK Jazz pour créer le Rock-A-Mambo. Ils sont remplacés par deux compatriotes, Célestin « Celio » Nkouka et Edo Nganga qui s’illustrent avec « Aimé ya bolingo », « Joséphine » et « Motema na ngai epai ya mama ».

Franco en prison

En 1958, alors que « Mobembo ya Franco na wele » et « Appartement » connaissent un gros succès, Franco est arrêté par les autorités coloniales pour avoir conduit sans permis. Il est jugé et écroué à la prison de Makala. Dépressif, il est transféré au Centre de neuropathologie de Léopoldville. Pendant ce temps, Célestin « Celio » Nkouka et Edo Nganga retournent à Brazzaville et montent l’orchestre Les Bantous de la Capitale avec Jean Serge Essous et Nino Malapaté. Une fois libéré sur décision politique, Franco relance l’OK Jazz avec Vicky Longomba et lance le « bouché », une danse et un rythme dérivés de la rumba. Ce style est illustré par « Princesse Kikou », « Lobolo » et « Babotoli ye tonga », des chansons satiriques sur ceux qui l’ont arrêté.

Le soukouss

Cette renaissance sera éphémère. Lors de la table ronde pour l’indépendance du Congo belge à Bruxelles le 27 janvier 1960, Franco voit son ami Vicky Longomba rejoindre Joseph Kabasélé et l’African Jazz invités à animer cet événement historique. C’est la déception mais Franco n’en reste pas là. Il introduit dans la rumba congolaise le konono, un rythme kongo de sa région natale (Bas-Congo) qui accompagne les chants kikongo interprétés par les atalakus (animateurs, chanteurs, danseurs) lors des naissances, des mariages ou des funérailles. Ce nouveau genre musical est caractérisé par quatre éléments : un couplet introductif suivi du « sébéné » (une longue exécution instrumentale mettant en exergue des riffs de guitare tournoyants genre rock), une section rythmique explosive (basse – batterie – percussions – guitare accompagnement), des voix très aiguës et enfin l’introduction du 6/8 à certains passages. Naît alors le soukouss (bouger les hanches), une expression empruntée aux jeunes des rues et qui vient du mot « secouer ». Cette musique frénétique et les chansons sur les diverses facettes de l’amour conquièrent très vite les jeunes filles et les femmes qui surnomment l’OK Jazz, « l’orchestre des jeunes filles ». Dès lors, l’OK Jazz attire les mélomanes du pays et les Brazzavillois qui, à la tombée du jour, traversent le fleuve Congo pour les nuits chaudes de Kinshasa.

« Mario », méga hit international

Son gros tube, « Mario » (La vie des hommes), vendu à plus de 100.000 exemplaires et disque d’or, raconte l’histoire d’un gigolo qui est toujours à la recherche de femmes aisées et plus âgées que lui. « C’est un homme basé au Portugal et non au Congo », précisera Franco lors d’un de ses concerts. A travers cette chanson, il stigmatise cette pratique en s’adressant à la jeunesse. « Mario » sera l’un de ses plus gros hits, repris par nombre d’artistes et groupes dont la formation afro-cubaine Africando.

Galères politico-financières

En 1962, Franco et l’OK Jazz sortent pour la première fois du Congo pour une tournée au Nigeria. Un an plus tard, le groupe s’étoffe avec Simaro Lutumba (guitare), Kiamanguana Mateta « Verkys » (sax) et les vocalistes Gilbert Youlou Mabiala, Mujos Mulamba, Jean Kwamy Munsi, Sam Mangwana et Michel Boyibanda. Dès lors, cette nouvelle formation enchaîne les tubes: « Amida Asukisi Molata », « Mboka mo paya pasi », « Mobali ya ouilleur », « Dodo tuna motema » ou encore « Yamba ngai na leo ». En 1965, Franco s’illustre avec l’album Polo dont deux titres, « Ngai Marie Nzoto Ebeba » et « Gare à toi Marie » sont jugés obscènes. Mais bientôt, surgissent d’énormes problèmes financiers. Criblée de dettes, la formation perd une grande partie de son matériel technique saisi par les huissiers mais réussit à cacher les instruments.

Le Tout Puissant OK Jazz

Franco s’en remet en fondant en 1969 son propre label, Les Editions Likembé, puis Les Editions Populaires ou Populaires. Il sort ensuite « Jalousie à bas », « Misele » et « Polo le chipeur » qui font fureur dans les clubs. Fort de son aura, il fait un retour aux sources en invitant l’accordéoniste Camille Feruzzi dans l’album Likambo ya ngana. L’OK Jazz devient alors la formation attitrée des soirées mondaines et officielles. Lors d’une de ces soirées festives au palais, le président Mobutu, subjugué par le soukouss trépidant de l’OK Jazz baptise l’orchestre Tout Puissant OK Jazz (TP OK Jazz) et Franco « Grand Maître de la musique congolaise ».

A la sortie de « Coupe du monde », un hommage aux Léopards zaïrois, représentants du continent à la Coupe du Monde de Football 1974 en Allemagne, le TP OK Jazz est nommé « Meilleur Orchestre Zaïrois de l’Année ». Cette distinction reçue plusieurs années de suite lui vaut d’être une formation pépinière, attirant les jeunes talents pays. 1975 voit l’arrivée du chanteur de charme Ndombé Opetum et Franco se convertir (discrètement) à l’islam, prenant le nom de Aboubacar Sidiki.

(re) Prison, exil et politique

Mais une fois de plus, le TP OK Jazz connaît quelques difficultés suite à une tournée camerounaise ratée et à la sortie, en 1978, de « Jackie » et « Hélène », deux chansons jugées accusatrices par un ministre. Franco est à nouveau arrêté et jeté en prison. Il y restera près d’un mois, libéré sur intervention du président. Quatre ans plus tard, il sort On entre ok – on sort ko, un album qui connaît un énorme succès : Disque d’Or et Maracas d’Or. Ensuite, il décide de s’installer en Belgique, crée le label Choc Choc (1983) et fait une tournée occidentale (Europe, Etats Unis). Rappelé en 1984 par Mobutu comme soutien de poids en vue des élections présidentielles, Franco réalise « Tata M », une chanson louant la première dame et distribué gratuitement dans tout le pays. Aussitôt c’est le décollage : Franco ouvre à Kasavubu (Kinshasa) un complexe avec restaurant et night-club, Un – Deux – Trois, crée un studio d’enregistrement dans sa résidence à Limete, fonde un hebdomadaire musical, Yé, et est nommé président de l’Union des Musiciens Zaïrois (UMUZA) et enregistre l’album, Mario (1985), une chanson sur les gigolos devenue son plus gros tube. Y figure, un deuxième hit, « Choc choc choc ». Atteint du Sida, il sort en 1987, Attention na Sida, « une dénonciation des pays occidentaux désignant l’Afrique comme le continent de tous les maux ».

Lors de la tournée occidentale du TP OK Jazz en 1989, Franco enregistre Forever avec l’une des plus belles voix de la rumba congolaise, Sam Mangwana. Ce sera l’ultime album du « Grand Maître » qui, après 38 ans de carrière, 150 albums et plus de 1.000 compositions, décède le 12 octobre 1989 à l’hôpital Mont-Godinne, près de Namur en Belgique. Son enterrement au cimetière de la Gombe à Kinshasa réunit plus de 300.000 personnes. Ainsi prend fin l’aventure du TP OK Jazz et de son leader qui, de son vivant, a vu ses oeuvres faire l’objet de nombreux mémoires et thèses universitaires…

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Nago Seck

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