Les Mwana Zidakani / Le dhikr
Nawal est issue d’une famille de la noblesse comorienne. Sa mère est une « Mwana Zidakani », les enfants « cagibi », des filles que l’on enferme jusqu’à leur mariage. Sauvée par son père, un métisse breton comorien, qui s’oppose à cette tradition et l’envoie à l’école, puis plus tard divorcée, cette dernière insuffle à sa fille ce désir d’émancipation, un sentiment renforcé par sa tante, la première femme à se présenter aux élections de gouverneur. Nawal grandit dans un milieu soufi d’origine persane: son grand-père, El Maarouf, dirige la confrérie (islamique) très respectée des « Chadhiliyya » (« Chadlia »). Cet héritage la conduira à chanter le « dhikr » (la vérité, le chant, l’incantation) destiné à commémorer les gens illustres, un chant qu’elle rapproche par son pouvoir rassembleur, humaniste, et sa puissance spirituelle au gospel. Elle s’imprègne peu à peu des diverses facettes de la scène musicale comorienne : bantoue, swahili, perse, arabe. Elle grandit également avec James Brown, Jimi Hendrix, The Doors, la chanson française (Brel et Nougaro dont elle adaptera plus tard des œuvres) : son oncle joue dans les années 1970 au sein d’un groupe afro-pop.
Des débuts douloureux
Sa première prestation sur scène en 1992 dans un pays où les femmes ne jouent pas en public est mémorable : son oncle vient la récupérer sur scène et la « corrige ». Elle ne cédera pas mais sera marquée toute sa vie par ce combat pour l’émancipation et portera ce message dans ses textes et sur toutes les scènes du monde, encourageant ses compatriotes à se libérer. Concilier liberté, spiritualité et beauté reste bientôt le maître mot de Nawal, bientôt installée à Paris dont la musique tente de concilier universalité et dépouillement.
Nawal et Touloulou
Dans les années 199o, Nawal est de l’aventure de jazz français Touloulou, aux côtés de Dominique Poggi (compositions, piano) et Doumé Trottier (Clarinette, voix, kalimba ). Ensemble, ils enregistrent en 1998 l’album « Bonne Nouvelle », produite par l’association Art’et Moin de la Comorienne.
la prêtresse de « Djazaïr el-Qamar » (les îles de la lune)
Après plusieurs expériences collectives (Donna Africa du label Ultime carovane et Women of Africa de Putumayo), celle qu’on appelle bientôt au pays « la prêtresse des îles de la lune » enregistre en 2001 Kweli un album résolument acoustique aux consonnances blues et roots, dominé par les percussions et les voix, et réunissant des artistes divers comme Mikidache faisant sonner sa guitare comme un ndzendze, le bassiste de jazz Idriss Mlanao, le flûtiste et compositeur hongrois Ivan Lantos, spécialiste de danse contemporaine, les choristes aux sonorités yoruba Funke et Yeni Kuti (Omoyeni Anikulapo Kuti, fille de Fela).
Aman
En 2005, une de ses compositions est retenue pour l’ »Opéra du Sahel »: le projet n’aboutit pas mais l’argent récolté lui permet de produire Aman, un album épuré, spirituel, donnant toute sa place au chant, qui sort en 2007 aux USA et en 2008 en Europe et dans le reste du monde. Cette deuxième œuvre suivie d’une tournée outre-Atlantique lui vaut une pluie de louanges des plus grands journaux américains comme le New York Times qui qualifie Aman « d’un des albums musiques du monde les plus marquants de l’année ». Durant cette période, Nawal signe également deux musiques de film: Matopos de Stéphanie Machuret (2006) et La résidence Ylang Ylang de Hachimiya Ahamada (2008) et participe à la compilation de Folkroots qui sort en 2007.
Kweli
Après plusieurs expériences collectives dont la production italienne Dona Africa où figuraient des femmes artistes de toute l’Afrique, Nawal Mlanao a enfin donné la pleine mesure de son talent avec « Kweli ». Dans cet album résolument acoustique et rythmique dominé par les percussions et les voix, la jeune femme s’est offerte une palette d’artistes très différents. Mikidache fait sonner sa guitare comme un ndzendze, sorte de valiha comorien au son proche de la kora. Le bassiste Idriss Mlanao vient du jazz. Le hongrois Ivan Lantos, flûtiste et compositeur est un spécialiste de danse contemporaine.
L’influence du soufisme
Petite fille d’un derviche comorien, Nawal a baigné dans cette croyance soufi indo-perse dont elle émaille ses textes, sa musique et sa technique vocale utilisant notamment les dikhris, rythmiques vocales soufies. Sa musique profondément spirituelle prend des couleurs insolites dans la reprise originale de Jacques Brel, » Ces gens-là « , où les chœurs assurés par Funke et Yeni Kuti donnent une couleur yoruba. Consonnances blues, arabo-perses se mêlent aux rythmes propres des Comores comme le mulid « ( » A Djalilu « ), rythme de guérison d’Anjouan, originaire de Turquie, le ngoma za madjini ou tambour des esprits qu’elle marie dans « Duna » au mgodro, rythme 6/8 proche du salegy malgache.
Montreuil – Seine-Saint-Denis
Vivant depuis plusieurs années à Montreuil, en Seine-Saint-Denis, Nawal Mlanao livre son regard sur sa commune : » J’ai une association, Art Témoin et avec le Café La Pêche, à Montreuil, j’ai pu organiser des jam-sessions appelées « Jam des possibles ». Dans ces jams, j’ai pu rencontrer des super musiciens comme l’excellent guitariste Hervé Samb et beaucoup de jazzmen. Je trouve le département de Seine-Saint-Denis vivant, ouvert à la culture. Je ne connais pas d’autres départements qui donnent des cours de musiques traditionnelles dans leurs conservatoires. »
* Crédit photo: Bill Akwa Betote : Nawal : la prêtresse des îles de la lune
Laissez un commentaire
Vous devez être logged in pour poster un commentaire.