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“Immortalisé par son interprétation du titre “Mandjou”, Salif Keïta, né le 25 août 1949 à Djoliba au Mali, est une des plus grandes voix du mandingue. Albinos, noble, le chanteur n'était pas destiné à une carrière artistique traditionnellement réservée aux griots. Interprète majeur du répertoire mandingue (il a porté des œuvres classiques comme des compositions contemporaines), Salif Keîta a développé une carrière internationale s'essayant à de nombreux genres musicaux (musique mandingue, afro-pop, afro-cubain, afro-funk, afro-électro, chanson française...). Il a réalisé des collaborations musicales importantes (Rail Band, Kanté Manfila, Kélétigui Diabaté, Carlos Santana, Africando, Wayne Shorter, Joe Zawinul), a signé de nombreuses musiques de film (“Yeleen” de Souleymane Cissé, “L'enfant lion” de Patrick Grandperret, etc...). Créateur d'une fondation pour la défense des albinos, il a monté son propre studio, Moffou, à Bamako, qui accueille de nombreux artistes de la scène internationale. Carlos Santana dit de lui qu'il est, par la puissance et la beauté de sa voix, l'un des plus grands chanteurs qu'il ait connus.”

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Animisme cruel

Quand Salif Keïta voit le jour en 1949 à Djoliba (Mali) dans une des plus anciennes familles royales du Mandé (son ancêtre est le grand Soundjata Keïta, fondateur de l’empire mandingue au XIII° siècle), c’est la consternation : Salif est albinos, situation des plus dures dans certaines communautés africaines. Chez les Dogons, les Bambaras et d’autres ethnies, la tradition varie en ce qui concerne les albinos. Certains fétiches animistes bambaras ne fonctionnent que s’ils sont arrosés du sang des albinos. Dans le cas de Salif Keïta, si sa mère accepte l’enfant dans sa différence, son père, lui, le rejette. Il souffrira tout au long de son enfance de sa couleur, une souffrance qui motive plus tard ses ambitions musicales et son désir d’être reconnu socialement.

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L’enfant commence à développer sa puissance vocale en criant pour chasser les singes des champs de son père. Il connaît sa première reconnaissance artistique en chantant dans “les grains” (clubs de thé) où se réunissent les villageois, une vocation peu goûtée par sa famille habituée par son statut royal à avoir ses propres griots.

Rail Band contre Ambassadeurs

Le rêve de Salif Keïta est de devenir instituteur, une ambition contrariée par sa très mauvaise vue. A 18 ans, le jeune albinos se tourne alors vers la musique, chante et joue de la guitare dans les bars de Bamako puis débute professionnellement dans le Rail Band protégé par le Ministre des Travaux Publics. Surnommé “le Domingo de la chanson africaine”, en référence à son homonyme footballeur, il provoque presque une crise ministérielle en rejoignant en 1973, après l’album Rail Band : Salif Keïta & Mory Kanté, l’orchestre qui anime le Motel de Bamako, Les Ambassadeurs du Motel de Bamako. Orgueil du Ministère de l’Intérieur, cette formation gérée par le Lieutenant Tiékoro Bagayoko, le chef de la sûreté nationale, est sous la direction musicale du guitariste virtuose Kanté Manfila. Avec ce dernier, il modifie le répertoire du groupe en y intégrant des morceaux du patrimoine mandingue. La dégradation du climat social et politique en 1976/1977 et les problèmes au sein du groupe (trois musiciens sont limogés) décident les deux complices à tenter leur chance à Abidjan (Côte d’Ivoire). Dans la capitale ivoirienne, ils rebaptisent l’orchestre Les Ambassadeurs Internationaux, avec Sékou Diabaté (basse), Nouhoun Keïta (batterie), Kaba Kanté (balafon), Smith (claviers), Ousmane Kouyaté (guitare rythmique), Moussa Cissoko (sax alto & ténor), Kabiné Traoré “Tagus” (trompette), Ousmane Dia et Sambou Diakité (voix). Avec cette formation, ils enregistrent, en 1978, “Mandjou”, une chanson louant les Touré (de la caste des nobles) qui connaît un énorme succès dans toute la sous-région. Dès lors, Les Ambassadeurs Internationaux tournent en Côte d’Ivoire, au Niger, au Sénégal et en Guinée où l’interprétation de “Mandjou” par Salif Keïta à l’exceptionnelle voix séduit le président Ahmed Sékou Touré (1922-1984) qui le fait Officier de l’Ordre National…

Surprise américaine

Après un passage aux Etats-Unis marqué par l’enregistrement de Primpin et Tounkan, les deux complices sortent à Paris Best of Ambassadeurs, une compilation de leurs meilleurs titres et jouent au festival Musiques Métisses d’Angoulême. Le public français découvre alors la puissance vocale de Salif Keïta servie par une musique mandingue aux accents malinkés composée par Kanté Manfila. Mais les deux amis se séparent et Salif crée le Super Ambassadeur intégrant à la formation classique (cuivres, guitares, batterie) le singbing, ancêtre de la kora, et le dourou, un gros tambour joué par Salif lui-même.

En 1985, Salif Keïta s’installe à Paris et assoit bien vite sa popularité en Europe. Le disque Soro (1987, réédité en 2008) qui opte pour un style mandingo-funk est classé dans les dix meilleurs “albums World Music” en Angleterre et aux Etats-Unis. En 1988, accompagné des Jamaïcains Sly Dunbar (batterie) et Robbie Shakespeare (basse), il participe au festival anti-apartheid de Wembley puis tourne dans les grands festivals américains et canadiens. La même année, il réalise la bande originale du film “Yeleen” de son compatriote Souleymane Cissé. L’album suivant, Ko Yan (1989), et son titre phare “Nou pas bouger” (sur l’immigration) offre une musique aux accents électro/funk, tirée du beat mandingue, et relevée par la guitare ondoyante d’Ousmane Kouyaté. Salif Keïta fait également appel au balafongiste virtuose Kélétigui Diabaté pour les mélodies traditionnelles.

En 1990, il rencontre Carlos Santana et concocte avec lui une fusion de musiques mandingues et latines. Ce dernier dira de lui qu“’il est, par la puissance et la beauté de sa voix, l’un des plus grands chanteurs qu’il ait connu”.

Amen : l’album de la maturité

Sorti en 1991, Amen, dont le magnifique morceau acoustique “Folon”, est produit et arrangé par Joe Zawinul (ex-Weather Report). Ce canevas de rythmes révèle les riffs de guitare flamenco de Carlos Santana, les cuivres jazzy de Wayne Shorter, la rythmique funk du bassiste Etienne Mbappé et du batteur Paco Séry soutenant les accents malinkés des guitares de Kanté Manfila et de Mamadou Doumbia , la ligne de balafon de Kélétigui Diabaté et le dialogue en bambara et en malinké du lead vocal Salif et des chœurs assurés par des chanteuses de renom (Djanka Diabaté, Assitan Débélé, Djéné Doumbia et Nayanka Bell). Suivent bientôt la réalisation du clip “Nbi Fé” (je t’aime), une tournée mondiale (Japon, Afrique, Usa, Canada, Europe) et l’enregistrement de la musique du film “L’enfant lion” (1992) de Patrick Grandperret. Sortiront ensuite plusieurs albums de grande facture dont The Mansa of Mali… A Retrospective et Folon…The Past (1995 – Mango), Sosie (1997 – Night & Day) ou encore Papa (1999 – Capitol Records).

Autres projets

Après les fameux Moffou (2002), M’Bemba (2005), 20th Century Masters – The Millennium Collection : The Best of Salif Keita (2007), Salif Keïta réalise La Différence (2009), un magnifique album acoustique dédié aux albinos. Deux ans plus tard, sort Anthology (Emarcy – Universal), une compilation regroupant onze de ses tubes, dont “Mandjou”, “Folon”, “Nou pas bouger” et “Cono”. Suit en 2012, Talé, né de sa rencontre avec Philippe Cohen Solal, un producteur français qui a fait le tour de la planète avec Gotan Project. Pour la sortie de ce nouvel opus, Salif Keïta fait, pour la 3 ème fois, salle comble à l’Olympia, à Paris (France), le mercredi 6 février 2013.

Salif, le producteur

Attaché à ses valeurs culturelles, interprète à la voix immense et aux accents fascinants, Salif Keïta joint souvent sa voix à celles des griottes traditionnelles pour interpréter les airs anciens du Mandé. A la fin des années 1990, partageant son temps entre son pays la France, l’artiste fonde à Kalabancoro, au Mali, Wanda Records (un label et un studio d’enregistrement), et produit de jeunes artistes, dont des rappeurs maliens. Il lance également sa “Fondation Salif Keïta pour les albinos” (2001), attirant l’attention du grand public sur les maladies dont ils sont souvent atteints.

Salif Keïta Global Foundation

“Etre né albinos en Afrique est un drame”, affirme Salif. Le manque d’éducation dans un pays comme le Mali, où plus des trois quarts de la population est analphabète explique en grande partie la persistance de croyances funestes à l’égard des albinos. Depuis 2001, la Fondation Salif Keïta pour les albinos (Salif Keïta Global Foundation) poursuit un travail de sensibilisation à grande échelle partout au Mali, afin que reculent ces croyances obscurantistes selon lesquelles les albinos sont le fruit d’un mauvais sort. Cette fondation fournit ainsi assistance aux soins et éléments de protection contre le soleil, pire ennemi des albinos avec l’indifférence.
Son album « La Différence », une ode à la paix et à l’amour. est dédié à l’élimination des violations des droits des personnes vivant avec l’albinisme dans le monde.

Montreuil – Seine-Saint-Denis

Ayant vécu pendant quelques années à Montreuil, en Seine-Saint-Denis, Salif Keïta dit de cette commune :  » Montreuil, c’est un peu la deuxième ville du Mali. Tu sors, tu entends les langues maliennes partout. C’était important pour moi d’être à Montreuil dans les années 1980. Il y avait alors un tel engouement pour la musique africaine. Tout le monde s’y croisait : Mory Kanté, Youssou Ndour, Manu Dibango, Touré Kunda, c’étaient de beaux moments. »
** Extrait de « Salif Keîta – la Voix d’Or de Montreuil » – Le Mag de Seine-Saint-Denis – 28 mars 2019

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Nago Seck

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