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“Artiste engagée, auteure-compositrice, pianiste et grande diva de la marabi music d’Afrique du Sud, Dorothy Masuka, s’est illustrée en 1951 en composant “Hamba Notsokolo” et surtout en 1956, avec “Pata Pata”, un titre repris par plusieurs artistes, dont Miriam Makeba, Coumba Gawlo Seck ou encore la Française Sylvie Vartan... Dorothy Masuka meurt le 23 février 2019 dans sa demeure de Yeoville, à Johannesburg, suites à une hypertension.”

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Née le 3 septembre 1935 à Bulawayo au Zimbabwe (ex Rhodésie du Sud ), Dorothy Masuka est la fille d’un cuisinier zambien et d’une mère zulu d’origine zimbabwéenne. Dorothy Manyando Masuka aka Dorothy Masuka tire son nom de famille, Masuka, d’un mot « ndebele » qui signifie « calme », « zen » – le « ndebele » est une des langues du Zimbabwe qui est aussi parlée dans d’autres pays d’Afrique australe.

Envoyée très jeune dans un couvent catholique d’Afrique du Sud pour ses études, elle est bien vite happée par le milieu musical et s’initie au piano. Diplôme en poche, elle décide d’y rester pour une carrière musicale. Après plusieurs victoires aux concours de chants, elle rejoint le groupe Ink Spots comme interprète.

« Hamba Notsokolo », premier tube

A l’âge de douze ans, Dorothy Masuka enregistre pour la première fois avec un orchestre et en 1951, elle se fait un nom en composant le 45 tours « Hamba Notsokolo » pour Troubadour Records (Johannesburg). Elle a alors 16 ans et est déjà la coqueluche des médias. Ce premier hit deviendra un classique de la musique sud-africaine. Plus tard, elle chante d’une voix tantôt aiguë, tantôt grave, tantôt modulée ou chaude des variétés occidentales dans la célèbre formation de mbombela (afro-jazz sud-africain), l’African Jazz & Variety d’Alf Albert, reprenant les titres des grands noms du jazz américain comme Ella Fitzgerald ou composant ses propres chansons sur la politique ou la société comme « Khuteni Zulu ? » (« Que se passe-t-il ? » en zulu), une dénonciation de la lutte entre deux factions tribales se disputant le cercueil d’un défunt sur fond de jive des townships ou marabi music. Cet appel au calme et à la réflexion reçoit un accueil enthousiasme du public et des médias des communautés noires du pays qui la surnomment « The Grand Dame of African Music » (la grande dame de la musique africaine).

Musique et politique

En 1959, Dorothy Masuka est rejointe au sein du groupe par ses cadets, dont Hugh Masekela et Miriam Makeba. A la sortie de « Dr Malan » et « Lumumba », deux titres à travers lesquels elle affirme son nationalisme africain et son soutien à la lutte anti-apartheid de l’ANC (African National Congress) de Nelson Mandela, elle est dans la ligne de mire des autorités et est obligée, comme ses amis Hugh Masekela et Miriam Makeba, de s’exiler en 1961. « Je ne chante que ce que je vois. Je chante juste des messages pour le peuple mais ce sont que d’autres n’aiment pas que je chante. Je n’ai rien fait de mal. Lorsqu’on écrit une chanson, on parle de ce qui s’est passé, de ce qui se passe ou de ce qui se passera », dit-elle.

Durant 5 ans, Dorothy Masuka navigue entre le Malawi et la Tanzanie où elle est considérée comme une championne de la cause indépendantiste à travers sa musique, New York et Londres où elle se produit au Palladium. Mais le désir de rentrer est plus fort et en 1965 elle décide de retourner au Zimbabwe, créant une grande agitation tant musicalement que politiquement. Elle ne retourne qu’en 1965 au Zimbabwe mais décide bien vite de partir vivre dans le géant économique régional qu’est l’Afrique du Sud. Elle deviendra l’une des chanteuses préférées de Nelson Mandela, invitée souvent pour animer les soirées d’anniversaire ce dernier devenu président de la République (9 mai 1994 – 14 juin 1999).

Pata Pata, le méga hit international

Dorothy Masuka se relance en composant son gros hit en 1956, « Pata Pata » (« Touchez touchez » en zulu), un morceau au beat marabi (ou jive des townships) auquel elle injecte des mots « ndebele », des doses de musique « shona » zimbabwéenne, du swing et du Bi-Bop des Etats Unis. C’est aussi une danse qu’elle a lancée et qui encourage à l’exploration méthodique du corps de son partenaire. L’idée étant de toucher affectueusement les bras, les jambes, la poitrine et le visage…de l’autre. Attention les contacts peuvent devenir extrêmement chauds ! « Tu ne peux pas t’asseoir en écoutant de la marabi music. Quand tu l’entends, il te faut danser. C’est pour le rat des villes, l’Africain moderne », confie-t-elle. Le succès de « Pata Pata » est tel qu’il sera repris par de nombreux artistes de tout le continent dont sa compatriote Miriam Makeba en 1962 ou la Sénégalaise Coumba Gawlo Seck en 1998.

La période marabi music

Avec le développement du chimurenga, musique populaire symbole de lutte au Zimbabwe mais considérée par beaucoup comme une simple mode en Afrique du Sud, sa renommée commence à décliner. Les années 1970 seront pour Dorothy Masuka une période de vaches maigres. Après l’indépendance de son pays en 1980, elle bénéficie du regain d’intérêt de la marabi music et Staplate Records remixe la plupart de ses chansons. On y découvre une version modernisée de la marabi mêlée au shona et la présence du mbira (piano à pouces ou piano portatif).

Pata Pata new look

Remixé en 1991 pour Mango/Island dans une version pop / rock / dance, Pata Pata met en avant la voix aux intonations variées de la diva qui y interprète des chansons en diverses langues d’Afrique Australe : en swahili dans « Hapo Zamani » sur celui qui sombre l’alcoolisme après avoir connu fortune et succès, en « lozi » namibien dans « Kanyange » (Honte sur lui), un titre co-écrit avec Calvin Gudu sur l’histoire d’un éternel fatigué qui dort pendant que sa femme travaille et ne se lève même pas quand le bébé pleure ou en shona dans « Manyere », une chanson sur les privilégiés (« naître avec une cuillère d’argent dans la bouche (ou dans le nez), c’est un privilège qui donne le droit de ne rien faire »).

En 1995, Dorothy Masuka est à Paris avec son vieux pote Hugh Masekela pour la semaine sud-africaine « Musiques de liberté » à La Grande Halle de la Villette. L’année 1997 la voit remixer pour Gallo Hamba Notsokolo qui veut dire en zulu « reprends-toi, que la vie continue » (« Pour celui qui broie du noir, après une rupture affective »).

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L’ami Nelson Mandela

En 2001, Dorothy Masuka réalise deux albums, Magumede (Polygram) dont le titre « Mkwembu » composé et produit par Abe Sibiya et Chicco Sello Twala, l’incontournable producteur du mapantsula sud-africain puis Mzilikaki (Gallo Jazz). Un an plus tard, sort le Best of, The Definitive Collection: The Grand Dame of African Music, réunissant 20 de ses morceaux les plus célèbres comme l’inoubliable « Pata Pata » », « Hamba Notsokolo », « Nhingirikiri » (un jeu de mots shona pour dissimuler le nom d’une personne ou d’un lieu) ou encore « Impi » tiré de l’expression guerrière zulu « Impi Hloma » (« Qui sommes-nous si nous ne pouvons combattre ? Qui sommes-nous si nous ne pouvons défendre ? »). En 2004, elle participe à la double compilation The Winds of Change (les vents du changement) réunissant divers artistes et hommes politiques sud-africains comme Hugh Masekela, Johnny Clegg, Yvonne Chaka Chaka, Sibongile Khumalo, Busi Mhlongo, Chicco Sello Twala, Sipho Mabuse, Soul Brothers, Thabo Mbeki, Frederik De Klerk ou encore Nelson Mandela, avec un extrait de sa déclaration à l’ouverture de son Procès à la Cour suprême Rivonia de Pretoria le 20 avril 1964 (« Rivonia Trial Speech »).

Depuis la libération de son ami Nelson Mandela, celle que tous les Sud-africains appellent affectueusement « Aunty Dorothy » (Tata Dorothy) est invitée annuellement par la figure emblématique de la lutte anti-apartheid à l’occasion de son anniversaire pour écouter sa marabi music, soutenant la voix de la diva pouvant être aiguë, grave, modulée ou chaude par endroits, et ses subtiles notes de piano, instrument qu’elle joue avec beaucoup de brio. Dans le documentaire sur « Madiba » (Nelson Mandela) réalisé et diffusé par la télévision sud-africaine le 18 juin 2008 lors de son 90ème anniversaire, Dorothy Masuka, est la seule artiste invitée à témoigner sur la vie du leader emblématique, aux côtés de personnalités comme Desmond Tutu, Oliver Tambo, George Bizos, Ahmed Kathrada, Pik Botha, Nthato Motlana, Cyril Ramaphosa, Helen Suzman, Zolani Mkiva, Jessie Duarte, Francois Pienaar, Sydney Kentridge, Mac Maharaj, Christo Brand and Gill Marcus.

Nommée « The Grand Dame of African Music » par la reine Elisabeth

« The Grand Dame of African Music » (titre que lui a décerné la reine Elisabeth d’Angleterre), compositrice hors pair qui a inspiré et influencé de nombreux chanteurs et auteurs-compositeurs des années 1950/1960, Dorothy Masuka se singularise par son style unique, mélange de marabi music sud-africaine, de musique « shona » zimbabwéenne, d’afro-jazz et de bi-bop américains appelé par ses fans « Masuka Music » ou « Mixed Masala Music » comme elle le définit en plaisantant.

La première voix de « Pata Pata » s’est éteinte

Grande diva de la musique africaine, compositrice en 1956 de la chanson « Pata Pata », reprise et popularisée par Miriam Makeba en 1962, Dorothy Masuka est morte le 23 février 2019 dans sa demeure de Yeoville, à Johannesburg, suite à une hypertension.

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Nago Seck

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