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“Voyagez n’importe où dans le monde, prononcez les mots Afrique du Sud et deux noms sont prononcés : d’abord celui de Nelson Mandela puis celui de Miriam Makeba, de son vrai nom Zenzi Makeba Qgwashu Nguvama, surnommée affectueusement “Mama Africa”. Foudroyée par une attaque cardiaque sur scène le 10 novembre 2008 à Castel Volturno en Italie, lors d'un concert de soutien à l'écrivain Roberto Saviano menacé par la mafia napolitaine, Miriam Makeba décédera peu après à la clinique Pineta Grande, disparaissant, comme elle a toujours vécu, en militante des droits de l’homme et des causes universelles. Elle avait 76 ans. Avec sa disparition, c'est une page de l'histoire du continent et du monde qui se tourne. ”

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La prison à 18 jours

Zenzi Makeba Qgwashu Nguvama, une métisse Xhosa-Swasi, née le 4 mars 1932 à Johannesbourg, fait un séjour en prison, dix-huit jours après sa naissance en compagnie de sa mère condamnée à six mois de détention pour fabrication illégale d’alcool, une activité qu’elle pratique pour assurer la survie de sa famille. Son père disparaît alors qu’elle est encore très jeune. Sa mère qui a une très belle voix interprète des danses et des chants traditionnels et joue de plusieurs instruments (harmonica, sanza et percussions). De religion protestante, elle pratique comme la plupart des Sud-africains noirs un syncrétisme musical mêlant aux chants d’église des hymnes xhosa, zulu et sotho. Un professeur remarque bientôt la jeune Zenzi déjà dotée d’une très belle voix et l’encourage à exercer son talent dans les chorales de l’école. Son frère, grand amateur de musique, lui fait découvrir Ella Fitzgerald et Billie Holiday. Son premier maître à penser sera Joseph Mutuba, le directeur de sa chorale qui compose plusieurs textes en diverses langues africaines dénonçant la misère du peuple sud-africain.

Le rossignol et l’apartheid

En 1947, l’apartheid est décrété et avec le “Bantou Education Act”, tous les enfants noirs sont interdits d’école après 16 ans. Zenzi part alors travailler comme domestique à Pretoria mais les traitements dont elle fait l’objet (non règlement de ses gages, accusation de vol et de prostitution) la décident à tenter sa chance à Johannesburg. En 1950, naît de son union, un an plus tôt, avec son premier mari James Kubay, leur unique fille, Bongi Makeba qui, comme sa mère, deviendra chanteuse.

Débutant dans The Cuban Brothers, Zenzi Makeba est remarquée par le leader des Manhattan Brothers qui lui offre son premier contrat professionnel et son nom d’artiste : Miriam Makeba. Nous sommes en 1952. Le groupe interprète des morceaux cubains, des airs traditionnels sud-africains et des chants populaires. Bientôt surnommée “le rossignol” pour sa voix pure et immense, elle réalise pour la maison Gallo son premier album solo et obtient son premier succès populaire avec “Kakutshuna Ilangu”. Entre 1956 et 1959, à la demande de Gallo, elle prend la tête du groupe vocal féminin The Skylarks comprenant Mary Rabotapi, Abigail Kubeka et Mummy Girl Nketle, occasionnellement complété par une voix de basse (le plus souvent Sam Ngakane). Epaulé par des musiciens de talent comme le flûtiste Spokes Mashiyane (le roi de la kwela) et le clarinettiste-saxophoniste Dan Hill, le groupe chante en xhosa, anglais et zulu un répertoire au carrefour du jive, de la kwela et des styles vocaux sud-africains et se fait connaître avec deux titres comme “Hush” et “Inkomo Zodwa”. En 1959, c’est l’aventure de l’orchestre African Jazz and Variety adepte du mbombela (forme de jazz sud-africain ou afro-jazz), et comprenant des musiciens de talent comme la chanteuse Letta Mbulu, le trompettiste Hugh Masekela, le clarinettiste et saxophoniste Kippie Moeketsi ou encore le pianiste Abdullah Ibrahim. Miriam Makeba triomphe alors au sein de la comédie musicale “King Kong” qui connaît un succès sans précédent en Afrique du Sud et dans le monde.

Harry Belafonte le Big Brother et l’Amérique

Un petit rôle dans le film “Come back to Africa”, réquisitoire contre l’apartheid et prix de la critique au festival de Venise lui permet enfin de quitter son pays. Chaperonnée à son arrivée aux USA en 1959 par celui qu’elle appelle « Big Brother », Harry Belafonte, Miriam Makeba séduit rapidement tout le gotha américain (Sydney Poitier, Duke Ellington, Lauren Bacall, Bing Crosby, Nina Simone, Elisabeth Taylor, Marlon Brando…). Toute l’Amérique la surnomme alors “The click-click girl” à cause de son titre “The Click Song” (référence aux langues “à clic” (ou “click”) parlées en Afrique du Sud, notamment par le peuple Xhosa). Mais les 45.000 dollars de royalties versés par la maison RCA qui lui produit l’album afro-jazz éponyme Miriam Makeba servent à payer la cession de droits exigés par la maison sud-africaine Gallo. Tandis que son étoile monte au zénith, le massacre de Sharpeville en Afrique du Sud se solde par le décès de deux de ses oncles. Sa mère disparaît peu après. Décidée à rentrer au pays pour assister aux funérailles, elle se voit refuser un visa par les autorités sud-africaines qui la déclarent exilée. Avec Big Brother Harry Belafonte, elle découvre bientôt la ségrégation qui règne aux Etats-Unis et se trouve paradoxalement invitée en 1962 au Madison Square Garden où elle chante en présence du Président John Fitzgerald Kennedy (1917-1963) et de Marilyn Monroe, née Norma Jeane Mortenson (1926-1962).

Déclaration historique

Son retour sur le continent s’effectue en 1962 suite à une invitation au Kenya : Miriam Makeba deviendra une des personnalités à recevoir le plus de visas et de citoyennetés d’honneur. Condamnée à l’exil, orpheline, Miriam Makeba fait le grand saut en 1963 : elle décide de prendre la parole devant le Comité des Nations Unies pour dénoncer l’apartheid. De simple chanteuse, elle devient le symbole de tout un peuple. Toute l’Amérique l’acclame. Marlon Brando qui noue avec elle une amitié sincère l’épaule dans sa lutte. Jusque-là en tournée avec Harry Belafonte, elle donne son premier concert solo au Carnegie Hall de New York au moment où Nelson Mandela est arrêté. Le continent africain connaît alors de profonds bouleversements. De nombreux pays africains viennent d’accéder alors à l’indépendance et l’OUA (Organisation de l’Unité Africaine) devenue UA (Unité Africaine) se crée : elle est invitée à chanter pour son inauguration à Addis Abeba (Ethiopie). De symbole de la lutte anti-apartheid, Miriam Makeba devient bientôt “Mama Africa”. En 1964, elle épouse Hugh Masekela : le couple musicien s’installe dans le New Jersey (USA) à côté de Dizzy Gillespie, un nouvel ami. En 1966, Miriam Makeba est couronnée par le premier Grammy Award jamais attribué à un artiste africain pour l’album « An evening with Harry Belafonte and Miriam Makeba », enregistré avec son mentor américain. C’est cette même année 1966, avec la sortie de “Pata Pata” qu’elle devient vraiment une star mondiale. Ce titre composé en 1956 par Dorothy Masuka offre une musique croisant le mbombela, la kwela et la soul.

Stokeley Carmichael

Son remariage en 1968 avec Stokeley Carmichael (renommé Kwamé Turé), un des leaders des Black Panthers, marque un tournant dans son existence. Malgré le soutien de ses amis Nina Simone et Marlon Brando, Miriam Makeba se voit soudain fermer les portes de l’Amérique : toutes ses tournées sont annulées, sa maison de disques résilie son contrat. A la mort de Martin Luther King, l’Amérique est à feu et à sang et le FBI traque le couple qui s’installe bientôt à Conakry, en Guinée. De son home africain, elle développe alors une carrière essentiellement européenne et participe en 1969 au Festival Panafricain d’Alger, lieu de rencontres des plus grands noms de la musique d’alors : Franklin Boukaka, Bembeya Jazz National et Boubacar Demba Camara, Kouyaté Sory Kandia, Archie Shepp, Barry White, Manu Dibango, Nina Simone, Aminata Fall… Sa période guinéenne est surtout marquée par deux albums : Appel à l’Afrique est une dénonciation de l’exploitation par les pays occidentaux des richesses du continent non redistribuées aux peuples africains. Quant à A promise, c’est une interprétation de chants traditionnels guinéens accompagnés de kora et de balafon, comme le magnifique “Malouyame” mettant en valeur sa voix. Elle n’oublie pas aussi les musiques urbaines mandingues.

Retour d’exil

Tandis que Miriam Makeba tourne dans les années 1970 en Europe, aux USA et en Afrique, le continent est marqué le 16 juin 1976 par le massacre de Soweto (entre 500 et 700 morts), en Afrique du Sud, et l’année suivante par le Festival de Lagos (Nigeria) qui voit la participation de Stevie Wonder et de Letta Mbulu. Miriam dévoile alors une nouvelle orientation musicale marquée par le jazz, les rythmes traditionnels xhosa, swazi et zulu. En 1980, Miriam Makeba signe avec le constructeur automobile japonais Toyota pour une chanson publicitaire de la marque en Afrique, en deux versions : française (« Toyota Fantaisie ») et anglaise (« Toyota Fantasy »). En 1985, un grand malheur s’abat sur elle, avec la disparition, des suites d’un accouchement, à Conakry, en Guinée, de sa fille unique Bongi Makeba, avec qui elle avait enregistré l’album Miriam Makeba & Bongi (1975 – Editions Syliphone).

En 1988, Miriam Makeba participe à la tournée “Graceland” de Paul Simon en compagnie de Hugh Masekela, grave Sangoma, un album hommage à sa mère « isangoma » (guérisseuse), totalement a capella et dans la pure tradition de l’isacathamiya, puis participe au Festival de Wembley célébrant le 70° anniversaire de Nelson Mandela.

En 1991, Miriam Makeba rentre enfin au pays après 31 ans d’exil. Malgré l’interdiction du gouvernement de vendre ses disques (qui circulaient sous le manteau par millions dans les ghettos), elle est une véritable légende vivante.

Actions humanitaires

Depuis son retour, Miriam Makeba s’est impliquée dans de nombreux combats, dont la lutte contre le SIDA notamment. Elle est nommée Ambassadrice de la FAAO (Food and Agricultural Organization), a lancé sa propre marque de vêtements, et acheté un immeuble pour héberger les femmes sans abris. Et la liste n’est pas exhaustive. “Je ne fais pas de politique, dit-elle. C’est juste la vie que j’ai eue qui m’a enseigné certaines choses. Je ne suis pas une chanteuse engagée, je dis simplement la vérité”. Pendant six ans, Miriam Makeba a attendu pour enregistrer mais les offres des maisons de disques locales étaient souvent insultantes. Son producteur, Cedric Sampson, a financé lui-même la production de son album Homeland et ironie du sort, cet enregistrement n’a été rendu possible que grâce au contrat du label américain Putumayo.

A signaler la présence dans cet opus de la Sénégalaise Julia Sarr qui a écrit “Lindelani”, et du Congolais Lokua Kanza qui apporte la couleur folk/blues et son jeu aérien de guitare et de percussions dans une œuvre puisant aux sources du riche patrimoine sud-africain (jive, rhythm’n blues, maskanda, styles vocaux sud-africains). Miriam Makeba y imprime sa voix immense sur laquelle s’est inscrite au fil des années et des épreuves toute l’histoire de l’Afrique du Sud : la douleur, la violence, l’exil, l’espoir, la renaissance.

Disparition en Italie

Avec la disparition de Miriam Makeba foudroyée par une attaque cardiaque sur scène le 10 novembre 2008 à Castel Volturno en Italie, c’est une page de l’histoire du continent et du monde qui se tourne. Elle donnait alors un concert de soutien à l’écrivain Roberto Saviano menacé par la mafia napolitaine et n’est pas revenue sur scène. Elle décédera peu après à la clinique Pineta Grande, disparaissant, comme elle a toujours vécu, en militante des droits de l’homme et des causes universelles. Elle avait 76 ans.

Ma vie, ma carrière, chaque titre que je chante et chaque concert sont liés au destin de mon peuple. On m’a refusé mon foyer, on nous a refusé une terre. J’ai vu ma famille tuée par des soldats. J’ai été exilée à l’extérieur et mon peuple a été exilé à l’intérieur.

* Source : Extrait du livre “Miriam Makeba My Story”, en français, Une voix pour l’Afrique .

* Crédit photo: Nago Seck

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À propos de l'auteur

Sylvie Clerfeuille

Sylvie Clerfeuille

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