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“Auteur-compositeur, guitariste de légende de la rumba et du soukouss congolais, Nicolas Kasanda appelé "Nico Mobali" puis "Docteur Nico" (ou Dr Nico) soignait les âmes et faisait danser les chœurs. Joseph Kabasélé fut son maître, Franco, son rival, la guitare, sa religion. Son immense talent et son vibrato hantent encore aujourd’hui de nombreux guitaristes du continent. Le 22 septembre 1985, le docteur ès guitare, Nicolas Kasanda, s’éteignait entre les murs blafards de l’hôpital Saint-Luc à Bruxelles en Belgique.”

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Né le 7 juillet 1939 à Mikalay dans le Kasaï (Congo Kinshasa (RDC)), une période et une région qui vont contribuer à façonner sa future technique musicale, Dr Nico qui deviendra un des plus grands guitaristes du continent va se nourrir auprès de sources multiples et variées… Il va d’ailleurs populariser le mutuashi, un rythme et une danse originaires de sa région. Mais il va surtout adapter à la guitare la technique du likembé (sanza), le piano à pouce.

Tino Baroza et Jimmy Banguissois, les maîtres

Dr Nico grandit au Kasaï dans les années 1940/1950, une époque riche en créateurs et surtout en guitaristes. La guitare est alors un instrument acoustique qui accompagne la voix. C’est l’époque des chansonniers, comme Wendo Kolosoy, le plus célèbre. Au sein de cette génération, on trouve des guitaristes venus essentiellement du Katanga comme Jean-Bosco Mwenda. Leur jeu est marqué par le « picking » et cette fameuse technique du likembé (sanza) mais aussi par des répétitions rythmiques et mélodiques. Ils vont d’ailleurs influencer les guitaristes kenyans et tanzaniens. Et puis bien sûr, il y a son cousin Emmanuel Tshilumba Wa Baloji aka Tino Baroza, son maître spirituel qui se réclame de l’école du Centrafricain Jimmy Zakari surnommé « Jimmy Banguissois » ou « Jimmy à la guitare hawaïenne », leader des guitaristes des années 1950/1952 au Congo Kinshasa (RDC).

Dechaud, le frère complice

dechaud.jpgPlus tard, son frère Charles Mwamba aka Dechaud, de quatre ans son aîné, jouera avec Jimmy. Parmi ces fameux guitaristes, on peut aussi citer Elenga Zacharie, le premier à introduire le vibrato dans le jeu de la guitare congolaise à la manière des Iles Hawaï et va sacrifier le texte à la tyrannie du rythme. Dès son enfance, Nicolas Kasanda bénéficie d’une solide formation musicale grâce à son entourage… Deux personnes de sa famille vont jouer un rôle clé dans sa formation : son père, accordéoniste et surtout son frère, Dechaud. La famille est alors installée à Léopoldville (actuel Kinshasa) et Dechaud commence à travailler en professionnel. Il fait ses débuts de guitariste avec Jimmy Banguissois (on le surnommera même « le petit Jimmy ») mais se révélera surtout avec Joseph Kabasélé alias « Grand Kallé Jeff » au sein de l’African Jazz créé en 1951. Le petit Nicolas est tellement fasciné par la guitare, qu’il essaiera même de voler celle de son frère : il a tout juste 9 ans et se prend à rêver en voyant son frère partir jouer la nuit dans les clubs de Léopoldville. Un autre milieu l’a aidé à s’offrir de sérieuses bases musicales, classiques donc différentes, l’école missionnaire. Cette formation classique va influencer sa future technique de guitare : capacité à intégrer divers genres musicaux et à transposer les techniques du piano ou du likembé (sanza) à la guitare.

L’African Jazz de Joseph Kabasélé

Ce dernier le fait finalement entrer dans l’African Jazz de Joseph Kabasélé, le premier grand orchestre de la capitale congolaise. Avec l’arrivée des grands orchestres au milieu des années 1950, la guitare a changé de fonction. Elle n’est plus comme avec les chansonniers (instrument d’accompagnement), elle s’électrifie et devient belle et bien, un instrument qui dialogue avec les diverses parties de l’orchestre. Dans l’African Fiesta par exemple, les musiciens sont sur trois rangs. Au premier rang, on trouve les chanteurs, au second, la section guitares, au troisième, les percussions et les cuivres. Dr Nico (un surnom que lui a donné Joseph Kabasélé pour illustrer sa virtuosité) s’est rapidement imposé comme soliste par sa capacité à dialoguer avec les autres instruments mais aussi par ses qualités : il a un jeu élégant, il peut mélanger des styles très divers (mambo, jazz, classique, rumba), il est capable d’enchaîner des techniques multiples (picking, accords) au cours d’un même morceau avec une virtuosité hallucinante.

Indépendance Cha Cha

En 1951, âgé à peine de 12 ans, le futur Dr Nico enregistre un premier 45T comme soliste avec le Joseph Kabasélé et l’African Jazz, pour les Éditions Opika : l’éditeur grec Moussa Bénatar remarque son talent précoce et, désirant le retenir dans son « écurie » (son orchestre maison), lui offre une bicyclette et sa première guitare. Dr Nico va finalement s’imposer comme soliste au sein de l’African Jazz. A la Table ronde de Bruxelles pour l’indépendance du Congo belge en 1960, Dr Nico marquera de ses riffs de guitare sophistiqués l’album « Indépendance Cha Cha ».

African Fiesta

Trois ans plus, il fonde l’African Fiesta avec Tabu Ley Rochereau, autre émule de Kallé Jeff. A la scission du groupe en 1965, deux formations naîtront en 1966 : l’African Fiesta International de Tabu Ley Rochereau et l’African Fiesta Sukisa de Dr Nico dont feront partie, entre autres, son frère Charles Mwamba aka Dechaud (guitare), Lucie Eyenga et Josky Kiambukuta, tous deux chanteurs.

Dr Nico contre Franco

Dr Nico et Franco vont lancer deux écoles de guitare, deux techniques de guitare qui marqueront des générations de musiciens : Dr Nico a intégré dans son jeu la technique de la cithare des Rumbamberos, un groupe qui entretient des relations musicales avec l’African Jazz. Il développe aussi son propre style basé sur l’égrènement des sons. Quant à Franco, il a été influencé par le style du jazzman belge Bill Alexander qui vit à Léopoldville. Il va également reprendre ce fameux vibrato popularisé par Jimmy à la guitare hawaïenne mais il va surtout valoriser le sébéné, une longue exécution instrumentale qui met en valeur les riffs improvisés du guitariste.

L’African Fiesta Sukisa

Il faudra attendre les années 1970 pour que l’African Fiesta Sukisa connaisse un immense succès. Il va même devenir l’un des groupes les plus populaires de la scène congolaise, avec l’exploration du rythme traditionnel de sa région du Kasaï, le mutuashi, une section rythmique bien en place (Georges Armand, batterie, Luningu, basse), une guitare accompagnement soutenue (Dechaud) et le jeu de guitare tournoyant de Dr Nico. Des morceaux comme « Ngalula », « Nico alekaki », « Bougie ya motema », « Marie Pauline », « Sanza zomi na mibale » ou encore « Bolingo ya sens unique » feront les beaux jours de tous les mélomanes des deux Congo. Au début des années 1980, avec l’explosion de la jeune génération adepte de soukouss, Dr Nico tente de relancer l’African Fiesta Sukisa avec la chanteuse Lucie Eyenga mais l’expérience sera de courte durée. Dr Nico sort alors en 1984 l’album « Dieu de la Guitare (N°1) – Mikalay », réalisé avec l’orchestre Les Redoutables d’Abeti Masikini. L’année suivante, sa tournée aux Etats Unis avec cette formation spécialiste de soukouss aboutit à l’enregistrement de « Aux U.S.A », un ultime opus de rumba congolaise et soukouss (eh oui!!!) produit par le label togolais Africa New Sound – O.TO.DI. (Office Togolais du Disque).

Le docteur ès guitare nous a quitté
Atteint par la maladie à l’été 1985, celui que l’on considère comme une véritable légende de la guitare classique congolaise sera transporté d’urgence, grâce à la couverture médicale accordée par la présidence de la république aux artistes (accordée bien tardivement), le 22 septembre 1985 à l’Hôpital St-Luc de Bruxelles (Belgique) où il meurt la nuit de son admission.

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À propos de l'auteur

Sylvie Clerfeuille

Sylvie Clerfeuille

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