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“Une grande technicité et un registre hyper varié ont permis à l'auteur-compositeur, arrangeur, saxophoniste, pianiste et vibraphoniste, Manu Dibango alias "Master Sax", né le 12 décembre 1933 à Douala (Cameroun) d'apporter une contribution fondamentale au paysage musical africain et international. Quelques secondes des notes de son fameux morceau "Soul makossa", mélange explosif du rythme makossa camerounais, de la soul music américaine et de la pop occidentale, ont été plagiées en 1984 par Michael Jackson dans le titre "Wanna be starting something" de l'album "Thriller" vendu à plus de 104 millions d’exemplaires... Manu Dibango meurt le 24 mars 2020 des suites du coronavirus (covid 19) à l’hôpital de Melun, en France.”

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Manu jazzy

A la naissance d’Emmanuel Dibango Ndjocké, la musique la plus écoutée par sa famille protestante est la musique d’église. Sa mère appartient à la chorale des femmes de Douala et l’oblige à suivre cette voie. Mais Douala (Cameroun) est un port où Manu Dibango rencontre des marins américains et avec eux le jazz et ses géants : Charlie Parker et Louis Armstrong. Son père l’inscrit à un cours de piano classique. A l’acquisition de son certificat d’études en 1949, ce dernier l’envoie à Saint-Calais dans la Sarthe (France) pour poursuivre ses études. En 1950, le jeune Manu Dibango se retrouve au lycée à Chartres et y rencontre des compatriotes dont Francis Bebey qui lui apprend les bases du jazz alors qu’ils ne sont encore qu’adolescents et passent leurs vacances dans une colonie pour jeunes Camerounais. C’est là qu’il découvre son futur instrument de prédilection, le sax, emprunté à son ami Moyébé Ndédi.
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Manu Dibango débute en 1957 à Reims, accompagnant l’accordéoniste Van Put avant de plonger dans le milieu jazz à Bruxelles, commençant au Tabou à la Porte de Namur, un cabaret branché de la capitale belge où il fait la connaissance d’une artiste peintre et mannequin qui deviendra sa femme, Marie-Josée dite « Coco », décédée en 1995. Il lui dédiera une chanson, « Ma Marie », dans l’album « Waka juju ». Manu Dibango joue ensuite au Moulin Rouge à Ostende, au Scotch à Anvers et dans les bases américaines où il rencontre pour la première fois des Noirs américains. En 1958, il est engagé au Chat Noir à Charleroi, cabaret où il restera deux ans avant de devenir, en 1960, le chef d’orchestre des Anges Noirs du chanteur Capverdien Fonseca à Bruxelles, club fréquenté par l’intelligentsia congolaise, les musiciens africains et les « Américains de Bruxelles »: Bib Monville, Bobby Jaspar et René Thomas (futur musicien de Sonny Rollins).

Manu l’Africain

Dans ce populaire cabaret Belge diffusant de la musique cubaine et du jazz, il rencontre la musique africaine en la personne de Joseph Kabaselé dit « Grand Kallé » invité le 27 janvier 1960, avec son African Jazz, à la Table Ronde pour l’indépendance du Congo Léopoldville. Grand Kallé lui propose de se joindre à l’orchestre, comme pianiste, pour l’enregistrement de « Indépendance cha cha » devenu l’hymne à la liberté pour les pays africains accédant à l’indépendance. A la suite de cette réalisation discographique, Joseph Kabasélé l’invite à Kinshasa pour les festivités de l’indépendance de l’ex Congo Belge. Manu Dibango rejoint alors l’African Jazz où jouent Docteur Nico (guitare) et Tabu Ley Rochereau (voix). En 1961, il enregistre son premier disque solo, « African soul », mélange de jazz, de rythmes africains et de mambo. Il y prend ensuite en gérance le club Afro Negro et ouvre, deux ans plus tard, sa propre boîte, le Tam-Tam, un lieu où il approfondit sa démarche, improvisant sur des rythmes africains des solos purement jazzy, un clin d’oeil à King Curtis, le célèbre saxophoniste texan. Il y réalise « Twist à Léo » (1962), lançant la mode twist à Léopoldville (actuel Kinshasa). Ce séjour africain au lendemain des indépendances est aussi pour lui l’occasion de découvrir le continent: Afrique francophone, anglophone, lusophone et Maghreb. Début 1963, Manu Dibango et sa femme Coco décident d’ouvrir un club, toujours nommé Tam-Tam, à Douala mais divers problèmes (financiers, politiques, jalousies, police…) entraînent la fermeture du club.

Manu rocker et funky

Revenu en France, il devient le premier Africain à accompagner des stars du rock dont Dick Rivers qui le prend comme pianiste en 1965 puis Nino Ferrer avec qui il fera de multiples tournées. Tout en continuant à enregistrer des disques avec des musiciens africains dont son ami Joseph Kabasélé, Manu Dibango sort, en 1969, sous le label Tutti, « Saxy Party » (Philips), un album à la couleur afro-jazz regroupant quelques reprises et des titres de ses divers 45 tours et révélant un Manu Dibango poly instrumentiste (piano, orgue, marimba, mandoline, saxophone, vibraphone…). Il réalise à la même période plusieurs 45 tours comme « La coupe des tropiques », « Ode to Papa and Mama », « Le métèque / Sneakin’ home », « Salt pop corn » ou encore « The soukouss / Jojo »…

Soul Makossa à Hollywood

En 1972, Manu Dibango sort plusieurs 45 tours dont « O Boso/Soma Loba ». Mais un 45 tours, produit par African et distribué par La Société Française du Son, va changer sa vie: « Soul makossa » et « Hymne de la 8ème Coupe d’Afrique des Nations » (réalisé avec le poète camerounais S.M. Eno Belinga) sur la face B. Cette deuxième chanson, choisie à l’origine comme hymne de la compétition et destinée à fêter le Cameroun en cas de victoire lors de cette Coupe d’Afrique organisée dans le pays. Finalement le Congo Brazza l’emporte face au Mali.

Honoré malgré tout par son pays, organisateur de ce grand événement sportif africain, Manu Dibango va connaître le succès international après la sortie, la même année, de son premier album, « O Boso ». En effet, le titre « Soul makossa », mélange explosif du rythme makossa camerounais, de la soul music américaine et de la pop occidentale, est vendu à plusieurs millions d’exemplaires à travers le monde. Pont culturel entre l’Afrique, l’Europe et l’Amérique, « Soul makossa » (disque d’or en France) lui ouvre les portes de l’Europe et de l’Amérique. Suivent une version afro-cubaine de « Soul makossa » jouée avec Fania All Stars devant 40.000 personnes au Yankee Stadium de New York en 1973, une nomination aux Oscars à Hollywood en 1974 dans la catégorie « Meilleur album », un concert devant 35.000 personnes au Madison Square Garden de New-York, 10 soirées, en 1ère partie des Temptations, à l’Apollo Theatre à Harlem en présence de plusieurs vedettes dont le boxeur Mohamed Ali.
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Ce succès de « Soul makossa » aux Etats-Unis coïncide avec l’apparition d’une nouvelle danse américaine, le bump. En effet le beat de « Soul makossa » correspond parfaitement à la rythmique des chansons accompagnant le bump.

Manu Dibango s’installe alors aux Etats-Unis, joue avec les musiciens de ses rêves : Tony Williams, Franck West, Cedar Walton, Duke Ellington, les Brecker Brothers, Johnny Pacheco. En 1975, il est chargé de la direction musicale de l’orchestre de la RTI (Radio Télévision Ivoirienne).

Lors de son concert triomphal à L’Olympia en 1977, à son retour à Paris, lui qui n’était pas reconnu en France se voit remettre des mains du ministre de la Coopération, Robert Galley, le Trophée d’Or récompensant l’ensemble de son oeuvre.

Manu et le cinéma

Cette renommée planétaire n’empêche en rien Manu Dibango de continuer à composer la même année plusieurs 45 tours au succès retentissant, naviguant entre jazz, afro-cubain, makossa ou latin jazz: « Soir au village », « Super kumba », « Ashiko go ». Il se lance bientôt dans des compositions de musiques de films, sollicité par divers réalisateurs: « Le prix de liberté » de Jean-Pierre Dikonguè-Pipa (Cameroun), « Ceddo » d’Ousmane Sembène, mort le 10 juin 2007 (Sénégal) et « L’herbe sauvage » d’Henri Duparc (Côte d’Ivoire) en 1977. Suivent « L’aventure ambigüe » de Jacques Champreux (France/1984), « Kimbo », un dessin animé initié par la Fondation Ndaya International, et « Comment faire l’amour avec un nègre sans se fatiguer » de Dany Laferrière (France-Canada/1989), « Silences », un documentaire de Béatrice Soulé (France/1990), « Le silence de la forêt » de Basseck Ba Kobhio (Cameroun), « La colère des dieux » d’Idrissa Ouédraogo (Burkina-Faso/2003) et « Nha Fala » de Flora Gomez (Guinée-Bissau) en 2003, « Kirikou et les bêtes sauvages » de Michel Ocelot et Bénédicte Galup (France/2005), « Na cidade vazia » de Maria Joao Ganga (Angola/2006)…

Manu et Fela

En 1978 à Lagos, Manu Dibango réalise Home made (disque d’or), avec le guitariste congolais Jerry Malekani aka Bokilo (ex Ryco Jazz), et des musiciens ghanéens et nigérians. Il profite de sa présence dans l’ex capitale nigériane pour rendre visite à un autre saxophoniste de renom et ami de longue date, Fela Kuti. Comme lui, il appuie son sax sur les temps forts du rythme et plie ses improvisations à cette exigence. Installé en Afrique, il forme alors différents orchestres, dirigeant notamment l’orchestre de la police camerounaise.

Jah Manu

En 1979, année où il signe le 45T « Toyota Corolla » pour la promotion de la marque japonaise en Afrique, l’artiste camerounais se tourne vers la Jamaïque et met en boîte deux albums reggae/makossa, « Rasta Souvenir » et « Gone clear » avec Robbie Shakespeare, Geoffrey Chung, Sly Dunbar, Earl Wya et Ansel Collins. « Tek Time », soul/jazz, est enregistré à New-York avec Randy et Michael Brecker, Jon Fadis, Gwen Guthrie et Ullanda Mc Cullough.

Prospection camerounaise

A la demande de son gouvernement, il réalise un tour d’horizon des musiques camerounaises, traditionnelles comme modernes. Il effectue cet enregistrement avec vingt artistes d’origines diverses, composant chacun un titre. Le résultat de ce collectif, « Fleurs musicales du Cameroun », influencera profondément des albums comme « Waka juju » (1983) dont le titre « Mangoboolo » combine les rythmes boolobo, mangambeu et bikutsi. Suivent « Douala Sérénade », « Ma Marie » (dédié à sa femme) et « Soft Sweet », un retour au jazz.

L’affaire Michael Jackson

En 1984 éclate « l’affaire Michael Jackson » né le 29 août 1958 à Gary (Indiana) et décédé le 25 juin 2009 d’un arrêt cardiaque à Los Angeles (Californie). Dans l’album, « Thriller » vendu à plus de 104 millions d’exemplaires, la star américaine a « emprunté » quelques secondes à « Soul makossa » dans son titre « Wanna be starting something ». Manu Dibango dépose alors une plainte avec constitution de partie civile auprès du juge d’instruction à la rue du Château des Rentiers dans le 13ème arrondissement de Paris… Ce plagiat qui se soldera par le règlement à l’amiable des droits d’auteurs du compositeur camerounais contribuera à la reconnaissance des créateurs africains.

En 1984, quand éclate la terrible famine en Ethiopie, Manu Dibango initie le projet du 45 tours, « Tam Tam pour l’Ethiopie », réunissant une trentaine de musiciens et de chanteurs africains. L’année suivante, il se rend sur place avec Mory Kanté pour remettre la totalité de la somme récoltée.

Electro-funky Manu

Passionné par les nouvelles technologies, Manu Dibango tente une nouvelle fusion entre musique électronique, funk et rythmes assicko et makossa dans les albums « Surtension » et « Abélé Dance », en 1984. Le disque suivant, « Electric Africa », réunit en 1985 ses musiciens du Soul Makossa Gang, Herbie Kancock, Bill Laswell, Bernie Worrel, Ayib Dieng et Mory Kanté qui l’accompagne à la kora dans le titre « L’arbre à palabres ». La même année, Manu Dibango est fait Citoyen d’Honneur de la ville de Cortina d’Ampezzo en Italie.

Le Chevalier Manu

Promu Chevalier des Arts et des Lettres en 1986 par le ministre français de la Culture, Jack Lang, Manu Dibango est à nouveau honoré par l’Italie comme Citoyen d’Honneur de la ville de Turin avant de recevoir le Trophée Senghor pour sa contribution à la musique. Riche de ses reconnaissances officielles, il retourne vers le jazz avec « Afrijazzy » où officient Hugh Masekela, Paul Personne, Didier Lockwood et Ray Lema et participe à l’album « Révolution » d’Alpha Blondy. En 1988, il est fait Chevalier de l’Ordre et de la Valeur par son pays, le Cameroun, et Jean Louis Foulquier lui organise, aux Francofolies de la Rochelle, « La fête à Manu » qui réunit Maxime le Forestier, Les Têtes Brûlées, Zao, Nzongo Soul et la Compagnie Black-Blanc-Beur. 1989 voit la parution de « Trois Kilos de café« , un livre sur sa vie écrit par Danielle Rouard.

MC Manu/Wakafrika

Après une participation au festival Coopération Coup de Main à Genève en soutien aux enfants d’Amérique du Sud, Manu Dibango sort « Négropolitaines vol. 1 » (1989), un album au swing afro-beat. Le hip hop perce alors en Europe et Manu Dibango décide de se lancer dans le rap en signant l’album « Polysonik » (1990) suivi, un an plus tard, de « Bolingo City » (la ville de l’amour – « bolingo » = amour en lingala). En 1992, année où son album « Négropolitaines vol. 2 » est sacré « Instrumentales de l’Année », il inaugure la MJC Manu Dibango à Saint-Calais, la ville sarthoise qui l’a accueilli à son arrivée en France, puis participe à « Rave Parties », une rencontre musicale avec le Japonais Yasuaki Shimizu, l’Américain Maceo Parker (tous deux saxophonistes) et les Français Lionel D et Dee Nasty, deux pionniers du rap en France. Ensuite, il reçoit la Victoire de la Musique dans la catégorie « Meilleur Album de Variétés » (France) puis enregistre pour Fnac Music, « Wakafrica » (1994), un album de reprises de certains hits enregistrés avec plusieurs vedettes internationales dont Youssou Ndour, Peter Gabriel, Ladysmith Black Mambazo, Geoffrey Oryema, Sinead O’Connor, Salif Keïta, Ray Lema, Ray Phiri, King Sunny Ade, Angélique Kidjo, Papa Wemba, Kaïssa Doumbé, Bonga, Touré Kunda… En 1995, année de grâce, l’artiste camerounais signe « Lamastabastani », un album spirituel réalisé avec les télévangélistes Georges et Marylou Seba de la chorale de Sarcelles (France). Trois ans plus tard, Manu Dibango retourne à ses amours de jeunesse en signant « CubAfrica » (1998), une collaboration avec Eliades Ochoa Y Cuarteto Patria, les experts du « son cubano » basés à Santiago de Cuba. L’année 1998 le voit sortir le double album « Manu Safari » avec des reprises de certains de ses titres et des compositions inédites. La même année, il est nommé Chevalier de la Confrérie du Vin de Suresne. 2000 voit sa nomination comme Officier des Arts et des Lettres par le Cameroun et la parution sous le label camerounais JPS, de « Mboa’Su » puis de « Kamer feeling » sorti en 2001, une année également marquée par sa nomination au grade de Commandeur des Arts et des lettres en France.

Le Joola
Lors du naufrage du bâtiment sénégalais Le Joola survenu le 26 septembre 2002 aux larges des côtes gambiennes, Manu Dibango est aux côtés des sportifs africains dont l’attaquant El Hadj Diouf pour soutenir les familles des victimes. Cette terrible catastrophe a fait plus de victimes que Le Titanic: 1953 morts et seulement 64 rescapés…

Les honneurs
2003 le voit ravir le Grand Prix de l’Académie Charles Cros puis devenir Chevalier d’Honneur de la Commanderie du Clos Montmartre tandis que 2004 fait de lui un Ambassadeur de l’Unesco pour la Paix. Le 16 octobre de la même année, il rend hommage à Duke Ellington et Milt Jackson au Barbican à Londres, en compagnie de Baaba Maal (voix), Courtney Pine (sax), Slim Pezin (guitare), Noël Ekwabi (basse) et les cuivres de l’Orchestre de la Lune. En 2006, Manu Dibango pose les notes de son sax sur le titre « Zen It » de l’album, Ebotan, de son jeune compatriote, l’afro-jazzman Jay-Lou Ava.

Fespaco / Sydney Bechet

L’année 2007 est marquée par ses cinquante ans de carrière. Après avoir été honoré par le Fespaco (Festival Panafricain du Cinéma de Ouagadougou) qui en fait le parrain officiel de sa 20ème édition au Burkina Faso, Manu Dibango rend hommage au jazz de la Nouvelle Orléans en reprenant, dans « Manu Dibango joue Sydney Bechet », des titres du compositeur, saxophoniste et clarinettiste américain, Sydney Bechet, né le 14 mai 1897 à La Nouvelle-Orléans (États-Unis) et mort le 14 mai 1959 à Garches (France). Le 22 novembre de la même année, il est Président d’Honneur de la 16ème Cérémonie des « Django d’Or » (Trophées Internationaux du Jazz) au Pavillon Baltar de Nogent-sur-Marne dans la banlieue parisienne.

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Nago Seck

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