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“Issu d’une grande famille de djélis (griots) de Kolda (en Casamance au sud du Sénégal), Lamine Konté dit "le griot intello" est l'un des premiers artistes mandingues à offrir une vision moderne de la musique de kora, mêlant répertoire traditionnel, mbalax sénégalais, afro-cubain, jazz, soul et rhythm’n blues. Amoureux de littérature, il est aussi le premier à mettre en musique les œuvres des grands poètes africains et de la diaspora comme Léopold Sédar Senghor, Bernard Dadié, Léon Gontran Damas, Aimé Césaire, Birago Diop... Lamine Konté qui jouait aussi de la guitare acoustique disparaît brusquement dans la nuit du 28 au 29 septembre 2007 suite à une rupture d’une artère... ”

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Le Festival Mondial des Arts Nègres

« Je suis d’abord un Africain du Sénégal et ensuite un Casamançais. Je suis né dans cette région, Casa di Mansa, qui signifie la maison du roi ». Enfant de cette terre du Gabu (ancien royaume mandingue) qui accueillit la kora, Lamine Konté grandit dans un micro conservatoire familial de griots « Socés » (une branche du Mandingue) : son père, Dialy Kéba Konté, est un célèbre korafola (joueur de kora) et sa mère, une grande diva de la chanson. Très jeune, son oncle Souldiou Cissokho l’initie à la kora et à la guitare. A douze ans, il maîtrise déjà les techniques de cet « instrument magnifique ». En 1960, à tout juste quinze ans, il s’installe à Dakar chez un autre oncle, Nago Guèye (Cissokho en malinké), premier « korafola » (joueur de kora) virtuose « à faire une tournée internationale » en 1931, dans la foulée de l’exposition coloniale à La Porte Dorée à Paris, en France (Angleterre, Brésil, Uruguay, Argentine).

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« J’ai vécu la musique avant de la faire » aimait à dire Lamine Konté qui s’émancipe pourtant de son milieu traditionnel en entrant quatre ans plus tard, à l’Ecole des Arts de Dakar, successivement dans les sections d’art dramatique et de musique, apprenant le solfège. « Je suis griot parce que je défends nos valeurs culturelles et traditionnelles. Je suis une mémoire et je me dois de respecter et de défendre la culture orale. Mais je suis aussi musicien dans la mesure où je tente de casser le carcan de la musique grottique. » Passionné par plusieurs formes de musiques (traditionnelle africaine, classique et contemporaine occidentales), Lamine Konté fait ses débuts de musicien en 1966 au Festival Mondial des Arts Nègres de Dakar.

Kora et Négritude

En 1971, le jeune korafola s’installe à Paris, une étape clé de sa carrière et de sa création. « De loin, on voit son pays avec plus de profondeur, de nostalgie. La césure renforce les sentiments qu’on éprouve. » Dans la capitale française, il sort ses deux premiers albums internationaux, La kora du Sénégal (vol 1 et 2), une réussite d’harmonie et de dextérité mariant avec grâce airs socés, mbalax, afro-cubain , jazz, soul et rhythm’n blues, avec des chants en socé, en français et en créole portugais. C’est immédiatement le succès, notamment dans les milieux intellectuels afro-antillais et français. Son adaptation de l’air folklorique « Malon » est aussitôt choisie comme générique du journal parlé de la jeune Radiodiffusion Nationale du Sénégal.

Suit Chant du Nègre, chant du monde composé de poèmes africains, antillais et américains car la force et l’originalité de Lamine Konté est d’avoir adapter la kora en lui faisant accompagner des textes de poètes contemporains, devenant ainsi le précurseur de ce qu’on appelle maintenant le « slam ». Sur les écrits des chantres de la littérature négro-africaine comme Aimé Césaire, Bernard Dadié, Birago Diop, Léon Gontran Damas et Léopold Sédar Senghor qu’il rencontrera à l’hôtel de ville de Brest en France, il crée en effet « un accompagnement musical qui enveloppe les chants, les annonce, les prolonge, les soutient et en accentue les reliefs ». Il brode constamment autour de la partie chantée et rythme les phrases avec la kora, la guitare, le balafon et les djembés.

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Lamine Konté et le cinéma

C’est à l’occasion du Festival International des Jeunes et de la Culture en France où il représente le Sénégal, qu’il fait la connaissance d’un autre artiste casamançais, Doura Mané, comédien vedette au Théâtre Daniel Sorano de Dakar et acteur réputé sur les plateaux de cinéma occidentaux. Ensemble, ils fondent les ballets « Forêt Sacrée de Casamance » qui tournent un peu partout en Europe. Les deux complices se retrouveront en 1978 sur le tournage du film de Jacques Champreux, « Bako l’autre Rive », l’un en tant que comédien, l’autre pour la réalisation de la musique du film. Lamine Konté qui avait déjà vécu cette expérience avec le diplomate français Jean Mazel pour la bande originale du documentaire « Du Sénégal aux Amériques » (Africa…Africa – face A) la renouvellera avec le cinéaste malien Souleymane Cissé pour le film « Baara » puis avec le réalisateur sénégalais Momar Soukey NDiaye en 1981 pour le documentaire « Jom ou l’histoire d’un peuple ».

Lamine Konté et Stevie Wonder

Mais la rencontre la plus marquante aura lieu avec Stevie Wonder pour le tournage du film « Journey through the secret life of plants » (1979). Ensemble, ils réalisent un album tiré de la musique du film. « Travailler avec une personnalité aussi remarquable que Stevie Wonder est inoubliable, se souviendra-il, sans compter que ce merveilleux musicien ose tourner des films musicaux alors qu’il est aveugle !. » Dans le titre « Kesse ye lolo de ye » (musique mandingue), Lamine Konté est à la kora, Stevie Wonder chante en bambara tandis que Ibrahim Camara assure les percussions. La même année, il participe, en compagnie des frères Alpha et Ibrahim Kouyaté, au festival Horizonte de Berlin où sont alors présents Francis Bebey, Manu Dibango, Xalam et Miriam Makeba.

Live au pays du soleil levant

En 1986 sa tournée japonaise fait l’objet de deux albums: Live in Tokyo, l’enregistrement en direct par World Music Library de son concert à Tokyo où il rend hommage aux soldats africains dits « tirailleurs sénégalais » en mettant en musique « Ode aux tirailleurs », un texte de L. S. Senghor, et Songs of the griots, un disque produit par JVC World Sounds. Cinq ans plus tard, lors d’une tournée américaine, il participe à un colloque sur Soundjata Keïta organisé par les étudiants du Holyoke College de Massachusetts. Depuis, il n’a cessé de sillonner le monde pour des concerts ou pour donner des cours dans des universités, notamment aux USA. En 1998, Live in Tokyo est réédité sous le titre Griot Legend (King Records / World Music Library).

Peu présent ces dernières années sur les scènes françaises et africaines, Lamine Konté est très demandé outre-atlantique et dans le reste de l’Europe. En Mars 2005, l’auteur, compositeur, interprète, korafola, guitariste, percussionniste et comédien fête son 60ème anniversaire en compagnie de quelques proches et de ses cousins, dans l’intimité de son appartement du quartier Botzaris à Paris. Etaient présents son cousin Abdoulaye Diabaté et son neveu Moussa Cissokho, deux membres du Kora Jazz Trio qui ont, eux aussi, décidé de quitter les circuits traditionnels des griots pour égrener leurs notes sur les routes du monde. Le premier s’installa au piano, le second se saisit d’un djembé tandis que Lamine prit sa guitare…et chanta… Soirée magique…

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Lamine n’est plus

Atteint d’un cancer de l’œsophage, ce passionné d’histoire (il lisait volontiers des auteurs comme Jean Diwo), solitaire et discret, disparaît brusquement dans la nuit du vendredi 28 au samedi 29 Septembre 2007 suite à une rupture d’une artère. Il avait 62 ans. Parmi l’immense foule l’accompagnant à son dernier demeure au cimetière de Belleville à Paris, on note la présence de nombreux artistes comme les frères Touré Kunda, Ray Lema, Seydina Wade, Nya Soleil, Christian Bocandé, Pape Djiby Bâ, Shoming, les membres du Kora Jazz Trio et bien d’autres encore. Plusieurs de ces artistes seront présents le 07 janvier 2008 au Studio de l’Ermitage à Paris pour l’hommage émouvant rendu à cet exceptionnel artiste qui beaucoup apporté aux musiques africaines.

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Nago Seck

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