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“Né en 1921 à Ziguinchor au Sénégal, Kémokho Kandara Bamody Cissokho aka Soundioulou Cissokho (ou Sissokho) dit "le roi de la kora" s’illustre dès 1938 par son doigté remarquable et devient l’un des plus célèbres "korafolas" (joueurs de kora) de l’ancien empire du Mandé. Son trio avec ses femmes Maïmouna Galissa Kouyaté et Maa Hawa Kouyaté , deux divas de la musique mandingue traditionnelle, marquera pour toujours les mélomanes. Mais c’est avec Maa Hawa Kouyaté qu’il sillonnera le monde. Ses nombreuses créations lui valent les honneurs au Sénégal, en Guinée et en France (Médaille Sacem). Ce grand maître qui n'était pas partisan de la kora à clé qu'il appelait ironiquement "berkélé" ("mulet", "mule" ou bardot", hybride engendré par une jument et un âne), meurt naturellement le 8 mai 1994 dans son domicile à Dakar. ”

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Soundioulou Cissokho, l’idole des jeunes filles

Né en 1921 à Ziguinchor en Casamance (partie de l’ex royaume du Gabu), au Sénégal, Kémokho Kandara Bamody Cissokho aka Soundioulou Cissokho est le fils du korafola virtuose, Kimintang Cissokho dit Bah Djali Cissokho, célèbre djéli (griot) du roi Abou Ndiaye, et de Caroline Da Silva, descendante d’un roi et d’une princesse de Guinée Bissau. Il est le neveu d’Almamy Djali Moussa (Almamy Guèye), de Boun Abass Guèye (Bouna Mbass Guèye), de Nago Guèye (« Cissokho » (mandingue) = « Guèye » (wolof, lébou)), lui-même fils de Diocounka Cissokho aka Diocounda Kora, tous originaires du royaume du Gabu.
A la fin de l’école primaire, il s’initie sous la contrainte de son oncle paternel Cirifo Kouyaté à la kora et se distingue bien vite par sa maîtrise de « Kourountou Kéléfa » (ou « Kéléfa Sané »), l’abécédaire de son instrument de prédilection. Ce dernier lui prédit d’ailleurs un immense succès. A 17 ans, il s’illustre avec le chant des Cissokho, « Diandjumba » qui veut dire « le grand combat » en socé (mandingue), sa langue paternelle. Dès 1948, il tourne en Afrique et en Europe avec le ballet panafricain du Guinéen Keïta Fodéba et devient bien vite l’idole des jeunes filles qui l’appellent affectueusement Soundioulou, le pseudonyme de « Soundioudji » qui veut dire « le lait maternel ». Sa dextérité, ses subtiles variations rythmiques et mélodiques à la kora, ses créations innovantes et ses interprétations de certains airs du répertoire traditionnel de la musique de kora comme « Kaïra » (« la paix ») ou « Simbo ba diatta » qui lui valent une reconnaissance internationale et celle des maisons de disques.

Le label HMV (His Master’s Voice ou La Voix de son maître) enregistrera dans les années 1950 plusieurs 78 tours diffusés sur Radio Sénégal et Radio Saint-Louis. Sitôt marié avec Rokhaya Fall dite « Ina », une femme non djéli (griotte), il s’installe en Guinée Bissau et tourne dans tout le pays (Bissau, Katiour-Katiao, Bissora, Tiour, Mansua, Kantiongou…). Soundioulou Cissokho épouse ensuite comme seconde femme la fille d’un noble éleveur de bétail, Hawa Kaloussaye, qui décédera le 5 octobre 1994, quelques mois après la disparition de Soundiouloui. Sa troisième femme, Maïmouna Galissa Kouyaté, née de père bissau-guinéen et de mère guinéenne (Conakry), une grande cantatrice djéli (griotte) connaissant parfaitement le répertoire mandingue l’accompagnera au chant jusqu’à sa mort en 1977. Ensemble, ils font un trio mémorable avec un autre maître de la kora, Sidikiba Sékou Diabaté aka Sidiki Diabaté, cousin de Soundioulou et père du célèbre virtuose Toumani Diabaté. Ce trio interprétera plusieurs morceaux du répertoire traditionnel mandingue. Quant à sa troisième femme, Nanta Kouyaté, leur union fut de courte durée.

L’Ensemble lyrique traditionnel

En 1962, Soundioulou Cissokho intègre le Théâtre du Palais de Dakar dirigé par Maurice Sonar Senghor, le fondateur, en 1948, à Paris d’un ballet de percussions et danses d’Afrique – les deux créateurs se sont connus dans les années 1950. Soundioulou sera membre fondateur de l’Ensemble lyrique traditionnel lorsque cette salle deviendra en 1965 le théâtre National Daniel Sorano de Dakar. En ces années post indépendance, il est souvent invité au Palais présidentiel par Léopold Sédar Senghor pour animer en solo avec sa kora les cérémonies officielles : banquets, visites de chefs d’Etat…Il représente ensuite le Sénégal dans divers pays : Mauritanie, Mali, Sierra Leone, Liberia ou encore Haute Volta devenue Burkina Faso en 1984. Après sa prestation remarquée au Festival Mondial des Arts Nègres de Dakar en 1966, il est fait Chevalier de I’Ordre du Mérite sénégalais par feu L. S. Senghor.

Soundioulou Cissokho, « le roi de la kora »

En 1967, Soundioulou Cissokho quitte le théâtre Daniel Sorano et tourne dans la sous-région. Invité à l’inauguration du Palais du Peuple à Conakry, il est couronné « roi de la kora » par Ahmed Sékou Touré (1922-1984), Président de la République de Guinée du 2 octobre 1958 au 26 mars 1984.

Maa Hawa Kouyaté, la voix d’or du Mandingue

Dans la capitale guinéenne, il entend parler de Maa Hawa Kouyaté, une jeune fille de 18 ans à la voix d’or. Maa Hawa Kouyaté qui deviendra son épouse rejoint comme chanteuse Soundioulou qui, jusque-là était accompagné de sa femme Maïmouna Galissa Kouyaté. Avant le départ pour Dakar, les chansons du couple Soundioulou/Maa Hawa sont largement diffusées par Radio Guinée et Radio Sénégal.

Après avoir reçu les félicitations du président Houari Boumédiène au Palais de la République pour sa participation au Festival Panafricain d’Alger en 1969, Soundioulou Cissokho est couronné par la SACEM (la Société des Auteurs Compositeurs et Editeurs de Musique française) qui lui décerne une médaille pour sa soixantaine de compositions. Suite à la sortie en 1971 de leur gros tube « Bandiar » interprété par Maa Hawa Kouyaté , Soundioulou Cissokho réintègre en 1972 l’Ensemble lyrique Daniel Sorano avec cette dernière qui se signale par sa voix de soprano aux inflexions multiples. Le duo dont la complicité est telle, que Soundioulou et Maa Hawa sont inscrits sur la calebasse de la kora, fait alors le bonheur des mélomanes avec des titres comme « Bandiar », un hommage de Maa Hawa Kouyaté à deux dignitaires religieux, les jumeaux Al Hassan et Al Hussein Sylla, parents du producteur lbrahima Sylla, « Maïmouna Kouyaté », un hommage à la défunte épouse, mais aussi « Ceddo » (sur la fierté des guerriers gabunkés), « Sory » (chant des Touré et hommage aux religieux mandingues), « Emile Badiane » (hommage à l’ex ministre et député-maire de Bignona en Casamance, au Sénégal) et surtout « Mariama » (sa création préférée)…

Tournées internationales

Lors de leur tournée internationale en 1980 (Maroc, Hollande, France), six titres du célèbre duo dont « Diaka », « Alla Leno », « Dia Banna », « Dioula Diékéré » feront l’objet d’un album intitulé « Le couple royal de la musique traditionnelle africaine à Paris » (Bellot Records – 1981), du nom du titre que leur a affublé la presse ivoirienne lors de leur passage à Abidjan en 1974 (Soundioulou avait offert une kora au président Félix Houphouët Boigny). En 1981, le duo organise un jubilé à travers diverses villes du Sénégal (Dakar, Ziguinchor, Kaolack, Diourbel, Saint-Louis, Thiès), invitant les grands « korafolas » (joueurs de kora) de la région (Guinée Bissau, Mali, Gambie, Côte d’Ivoire et Guinée Conakry). L’année suivante, Soundioulou Cissokho quitte définitivement l’Ensemble lyrique du théâtre Daniel Sorano pour une retraite qu’il pense bien méritée mais sera sollicité avec Maa Hawa Kouyaté pour des galas en Afrique, en Europe et en Asie : Sénégal, Côte d’Ivoire, Guinée, Mali, Liberia, Sierra Leone, Niger, Togo, Guinée Bissau, Gambie, Maroc, Algérie, Tunisie, Roumanie, France, Suisse, Belgique, Russie, Angleterre, Iran et Japon où ils enregistreront l’album « Songs of griots II ». L’année 1989 voit Mécène Art organiser au théâtre Daniel Sorano un hommage à Soundioulou Cissokho pour sa retraite définitive. Il a alors 68 ans. Nombreux sont ses enfants et petits enfants qui perpétuent la tradition mandinge gabunkée : Prince, Ablaye, Khalil, Djéour, Nana, Doudou, Ameth aka Metsing, Fanta Style, etc.
Contrairement à ces derniers, Chérif Cissokho, père de Fanta Style est mais aussi facteur de koras, gardant ainsi le lien avec l’héritage familial.

Les cordes du maître se sont éteintes

Le 8 mai 1994, meurt naturellement dans son domicile Soundioulou Cissokho, l’enfant qui ne voulait pas jouer de la kora. Deux jours de deuil sont alors décrétés au Sénégal et en Guinée pour cet instrumentiste virtuose qui a tant contribué à la vulgarisation de la musique de kora dans le monde.

La défunte psychanalyste, poète, écrivaine et ex manager de son fils Djéour Cissokho, Josée Lapeyrère, conta en 2000 la vie et l’œuvre de cette figure emblématique de la kora dans son livre « Soundioulou Cissokho – Roi de la kora » (Ed. Allalaké – Dakar).

Ses descendants comme Djéour, Prince, Ali Boulo, Ablaye, Fanta Style ou encore les nombreux héritiers de sa lignée continuent à perpétuer la tradition mandingue depuis trois générations.

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Nago Seck

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