Mbady Kouyaté, le maître
Né en 1967 à Koundara au nord-ouest de Guinée, dans une grande famille de djélis (griots), Ba Cissoko désirait être footballeur professionnel mais se heurte très vite au refus de son père, Kandara Cissoko, joueur de kora et membre fondateur des célèbres Ballets Djoliba. Inquiet pour l’avenir de ce fils « rebelle » qui veut se détourner de la tradition familiale, ce dernier l’envoie aussitôt à Conakry, chez son oncle Mbady Kouyaté, korafola virtuose et responsable de l’Ensemble Symphonique Traditionnel National de la République de Guinée. Auprès de cette figure emblématique guinéenne, Ba Cissoko se voit confier, comme tout jeune débutant, le rôle de battre la mesure en tapant sur la calebasse de la kora du maître, une fonction destinée à l’habituer de se produire en public. Plus tard, il est initié aux techniques de jeu de la (kora et à ses subtilités, à l’art du « djéliya » » (la philosophie, la science et l’art de la parole griottiques) et à la tradition musicale mandingue d’Afrique de l’Ouest. Sa formation terminée, il accompagne son oncle dans toutes les fêtes de réjouissance du pays (mariage, baptême) puis dans tous les pays de l’ex Empire Mandingue, Mali, Sénégal, Guinée Bissau, Gambie…
Tamalalou
En 1983, Ba Cissoko retourne à Koundara et intègre le Théâtre National d’Enfant dirigé par la danseuse et chorégraphe Jeanne Makolé et se lie d’amitié avec certains membres de la troupe, comme Sourakata Dioubaté (djembé), Prince Diabaté (kora, voix), Alhassane Kouyaté (voix, kora), Karamoko Bangoura (kora, balafon) et Nfaly Kouyaté (voix, kora, balafon), actuel leader du groupe Dunyakan. Six ans plus tard, sa participation au Feskora à Conakry et le début de renommée qui s’en suit l’incitent à rester dans la capitale. En 1994, il fait la connaissance de Gilles Poizat, un jeune trompettiste français d’Arles arrivé, dans le cadre de la coopération nord-sud, à Conakry pour découvrir les ficelles du jeu de kora, cet instrument né dans l’ex royaume du Gabu. Aussitôt les deux artistes forment un duo kora/trompette auquel viendront se joindre ses amis. Naît alors Tamalalou, un groupe adepte de musique traditionnelle de kora mais ouvert à d’autres styles urbains, lançant une fusion mandinka/pop qui reçoit un accueil enthousiaste dans divers clubs et salles de la capitale guinéenne : Alliance Franco-Guinéenne, Aux Copains d’Abord, La Camayenne, Ratoma, L’Atlantique…
Accompagnant en 1995, ainsi qu’Ibrahima Kourou Kouyaté aka Kourou Fia (basse, bolon, voix), son oncle Mbady Kouyaté pour une résidence à la Ciotat (Bouches du Rhône) avec le groupe marseillais de jazz-fusion No Quartet, Ba Cissoko profite de l’occasion pour faire écouter le démo de son groupe Tamalalou à Marc Ambrogiani, directeur artistique du festival Nuits Métis de Marseille (son frère, Kéba Cissoko, décédé aux USA était déjà en contact avec eux). C’est le coup de foudre et le début d’une fructueuse collaboration. En 1998, Ba Cissoko est au MASA d’Abidjan avec son cousin, autre virtuose de la kora Sékou Kora Kouyaté, puis travaille avec le Congolais Ray Lema à Marseille. Jusqu’à la séparation du groupe en 1999, il est régulièrement à l’affiche du festival, réalisant même un album passé inaperçu, « Dandala ». Ce titre figurera dans l’album « Ba Cissoko & Yvi Slan », un croisement de musique mandingue et d’électro avec le DJ français Sylvain Blanc alias « Ivy Slan », initié par Nuits Métis de Marseille (2001/2002).
Quatuor Ba Cissoko
A la dislocation de Tamalalou, il monte le Trio Ba Cissoko avec ses cousins Sékou Kouyaté et Kourou Fia, les fils de son maître Mbady Kouyaté et neveux de Maa Hawa Kouyaté et Soundjoulou Cissokho, beaucoup plus tournés vers les musiques urbaines. Sékou Kouyaté est un surdoué de la kora qu’il a électrifié tandis que son petit frère, Kourou Fia est un expert du bolon (harpe basse à 3 cordes), de la basse électrique et du djembé. Leur premier concert en 1999 au Festival du Théâtre des Réalités à Bamako au Mali est l’occasion pour le public africain de découvrir leur fusion pop/rock tirée du répertoire de la musique de kora du Gabu et chantée en malinké, bamana (bambara), halpulaar ou soussou. A leur retour, le trio intègre le petit frère de Ba Cissoko, le percussionniste Ibrahima Bah aka Kounkouré (tamani (talking drum), calebasse, djembé), devenant l’un des quartets les plus populaires d’Afrique de l’Ouest.
Christian Mousset, le militant
Invité à Musiques Métisses d’Angoulême en 2003, il signe un contrat discographique avec le label Marabi Productions de Christian Mousset, le directeur du festival rencontré pour la première fois dans la capitale malienne en 1999, année où il a produit l’album « Soutoukoum » de son oncle Mbady Kouyaté (Label Bleu/Indigo). En une semaine au Studio Petit Mas à Martigues, ce militant des musiques métisses enregistre, sous la direction artistique du Malgache Tao Ravao (complice de l’harmoniciste Vincent Bucher), le premier album du quartet, Sabolan, une véritable révolution de la musique de kora entamée en 1987 par Mory Kanté, le « rocker mandingue », avec « Yéké Yéké » de l’album Akwaba Beach produit par le regretté Philippe Constantin de Barclay.
On retrouve auprès du groupe de Ba Cissoko une pléiade d’artistes de talent : Ousmane “Kora” Kouyaté (kora sur « Dandala », « Sabolan », « Saï »), Gustavo Ovalles Palacios (congas, maracas sur « Sabolan », « Dandala », « Saï », « Kounkouré »), Marion Rampal et Margaux Bruguière (chœurs sur « Maïmouna ») ou encore Ibrahima Sory Tounkara (voix sur « Sabolan »).
L’envol international
La tournée de promotion de plus de 70 dates qui les mène en 2004 en Europe, en Asie et en Afrique et leurs participations au festival Musiques Métisses d’Angoulême, au Womad (World Of Music, Arts & Dance) puis au Womex (World Music Expo) révèlent au public international leur fusion pop-rock : sur une rythmique basse donnée par Kourou Fia (bolon, basse) et Ibrahima Bah dit « Kounkouré » (tamani (talking drum), calebasse, djembé), la kora rythmique acoustique de Ba Cissoko soutient le tempo tandis que le soliste Sékou Kouyaté amène, avec sa kora électrique truffée d’effets, des variations mélodiques inattendues et d’invraisemblables riffs « à la Sékou Bembeya » ou « à la Hendrix », deux de ses idoles. Tantôt rock, tantôt techno, tantôt funk, blues, tantôt reggae, la musique de Ba Cissoko offre de nouvelles ouvertures à la musique de kora. Plus que ses aînés qui ont largement contribué à l’évolution de cet instrument médiéval, il la « westernise ». En effet, Sékou Kouyaté travaille longuement toutes les compositions à la guitare qu’il maîtrise parfaitement avant de les transposer à la kora.
Le 2 décembre de la même année au CCF (Centre Culturel Français) de Dakar, Ba Cissoko qui a ouvert entre-temps un café-concert à Conakry, participe à la finale du concours du « Prix Découverte RFI », avec le Sénégalais Abdou Guité Seck et le Malien Idrissa Soumaoro. L’année 2005 voit Ba Cissoko mettre sur pied, avec la complicité de Maude Ferré Diabaté, le célèbre festival « Koras et Cordes » à Conakry. Né d’un désir de rencontres, de convergences, de confrontations des différentes pratiques et de promotion des musiques actuelles composées d’instruments à cordes, ce festival vise à réunir les univers musicaux du monde, invitant et métissant autour de la kora d’autres instruments à cordes comme le luth arabe, la guitare classique, le violon, l’oud ou encore la harpe.
K’naan, Amadou & Mariam, Les Nubians
Ba Cissoko donnera près de 200 concerts à travers le monde et en 2006, il concocte pour Tololo/Harmonia Mundi, « Electric Griot Land », un album qui mêle avec beaucoup de finesse répertoire de musique mandingue et sonorités urbaines (jazz, blues, funk, rock, reggae…), avec des invités de renom : le Somalien K’naan Warsame , Urban Music Awards du Meilleur Enregistrement Hip-Hop du Canada, rappe avec justesse sur « Silani », le Malien Amadou Bagayoko (d’Amadou & Mariam) croise les cordes de sa guitare avec celles des koras dans « Allah lake », l’Ivoirien Tiken Jah Fakoly pose sa voix éraillée sur « On veut se marier », un vrai bijou aux arrangements bien soignés, et sur « Africa », un hommage aux leaders africains. Quant aux deux sœurs franco-camerounaises, Célia et Hélène Faussart des Nubians, elles s’illustrent aux choeurs par leur tonicité et leurs tessitures vocales aux formes multiples.
Nimissa
En janvier 2012, il sort son quatrième opus, Nimissa (Les Regrets) produit et mixé par Philippe Edel (Cheb Khaled), un album aux accents jazz, funk, R&B, salsa et reggae dans lequel il s’entoure de la famille mandingue (Sekou Kouyaté à la kora, Kourou Fia à la basse et Abdoulaye Kouyaté à la guitare, du batteur d’Artagnan et de l’Ava Saty Marching Band qui assure la section cuivre.
Artiste éclectique, Ba Cissoko, tout en étant à la fois fidèle au répertoire de cet instrument riche et complexe mais ouvert aux courants urbains, a glissé avec maestria sa kora dans les créations de ses compatriots, comme les djélis (griots) mandingues Oui Ibro Diabaté, feu Bankhikanyi, Mory Djéli Deen Kouyaté et Fodé Kouyaté ou encore les rappeurs Alpha Soumah dit « Bill De Sam« , Deg-J-Force-3 et de Mifa Gueya.
En 2013, Ba Cissoko glisse les lignes de sa kora sur « Des racines et des ailes », une chanson de l’EP 5 titres, « Made in », de Toko Blaze, artiste d’origine ivoirienne et camerounaise, né en 1973 à Niamey (Niger).
L’année 2016 voit Ba Cissoko revenir sur le devant de la scène avec un nouvel album, « Djèli » (sur la djélia, la famille des griots) puisant dans une énergie mature, nourrie par la motivation indéfectible de moderniser la tradition mandingue, pour mieux la diffuser, la transgresser pour vraiment l’honorer.
* Crédits photos: Nago Seck, Marabi
Laissez un commentaire
Vous devez être logged in pour poster un commentaire.