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“Fils et petit fils de griots-forgerons, Mory Kanté est initié au balafon par son père à l’âge de 9 ans. Plus tard, cet auteur, compositeur, arrangeur, producteur et multi-instrumentiste se passionne pour la guitare, la kora, la pop, le funk, la soul et la musique électro, des sonorités qu’il croise avec la musique mandingue, dans son tube planétaire “Yéké Yéké”. Le 27 novembre 2017 à Paris, en France, Mory Kanté est sacré aux Grands Prix Sacem, dans la catégorie "Grand Prix des musiques du monde". .. Mory Kanté disparaît le vendredi 22 mai 2020 à Conakry, dans son pays natal, suite à une longue maladie (diabète). Il avait 70 ans.”

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Une famille de djélis forgerons

Né le 24 janvier 1950 à Albadaria près de Kissidougou, dans une famille de « djélis forgerons – balafonfolas » (griots forgerons et joueurs de balafons), Mory Kanté est élevé par son grand-père qui l’initie à l’art du “djéliya” (la philosophie, la science et l’art des griots). A la mort de ce dernier en 1959, il rejoint ses parents : sa mère Fatouma Kamissoko qui est d’origine malienne et son père, El Hadj Djéli Fodé Kanté, natif de Guinée l’initie au balafon, l’instrument des Kanté. A l’âge de 15 ans, ses parents le confie à sa tante Manamba Kamissoko à Bamako, une cantatrice renommée de l’Ensemble Instrumental National du Mali. Auprès de cette grande vocaliste, il apprend le chant griotique tout en s’intéressant aux musiques en vogue : afro-cubain, rumba congolaise, cha cha cha, soul music, pop, yéyé, afro-beat, mambo, rhythm’n blues, funk… A l’adolescence, il s’essaie avec beaucoup de dextérité à la guitare et dès 1968 commence à jouer comme guitariste – chanteur dans diverses formations de la ville et devient bien vite la star des “appollos”, les bals de quartier (la version malienne des groupes de baloches).

Mory Kanté et Salif Keïta

Sa carrière professionnelle débute en 1971 à la suite d’une rencontre avec le regretté saxophoniste et chef d’orchestre du Rail Band, Tidiani Koné, qui lui demande de les rejoindre. Sans tarder, Mory Kanté intègre en tant que balafongiste et second chanteur l’orchestre du Buffet de la gare de Bamako où il retrouve l’une des plus belles voix du continent, Salif Keïta, et l’exceptionnel guitariste et arrangeur Djélimady Tounkara. Ensemble, ils interpréteront diverses chansons, dont “Foliba” ou encore “Tiédioucouya”. Tout en animant les soirées avec son nouveau groupe, Mory Kanté se prend de passion pour la kora et trouve le temps d’apprendre en autodidacte les techniques de jeu et les ficelles de cet instrument. La reconnaissance a lieu lorsque l’un des grands maîtres maliens de ce cordophone complexe de l’ex royaume du Gabu, Batrou Sékou Kouyaté, lui offre cette kora qu’il appelle affectueusement sa “femme”.

Au départ de Salif Keïta pour Les Ambassadeurs du Motel de Bamako, en 1973, Mory Kanté, devenu le lead vocal du groupe, est projeté sur le devant de la scène, s’illustrant par sa voix haut perchée et pleine d’émotion et ses compositions éclectiques comme “Moko Djolo” et “Dugu Kamalemba”, de musique mandingue aux couleurs funk et afro-beat, dédiés respectivement à James Brown et Fela Anikulapo Kuti. Le grand public ouest-africain le découvrira vraiment à la parution de Rail Band : Salif Keïta & Mory Kanté (Syllart Production) comprenant une chanson interprétée par chacun des deux : “Soundjata”, un titre dédié à l’empereur Soundjata Keïta qui régna sur le Mandingue au XIII° siècle. La tournée de promotion de cet album en Afrique de l’ouest est un succès pour le Rail Band et sa nouvelle voix. En tournée en 1975 au Nigeria, où le Rail Band enregistre la chanson “Mamadou Boutigui“, Mory Kanté est couronné en recevant le prix de “La Voix d’Or”. Un an plus tard, sort Rail Band : Mory Kanté (Syllart Productions).

Mory à Abidjan

Après deux ans de tournées incessantes, Mory Kanté quitte le Rail Band, part s’installer à Abidjan (Côte d’Ivoire) en 1978. Il y monte un groupe acoustique (balafon, djembé, bolon, lui étant à la kora et au chant). Il lance aussi un nouveau concept musical qui fait swinguer le Climbier, un club branché de la capitale ivoirienne très prisé par les artistes de passage à Abidjan, comme Johnny Pacheco et Barry White. On l’appelle déjà “le roi de la musique mandingue” car il est un des artistes à rassembler tous les peuples de l’ancien Empire du Mandé au sein de sa formation et à faire revivre le patrimoine musical mandingue. “J’ai opté pour les recherches sur le son des instruments traditionnels africains : le balafon, le ngoni, le bolon et surtout la kora. Alors que tous les orchestres s’équipaient d’instruments modernes (guitares, claviers…), je pensais qu’il était dommage de laisser cette richesse de côté”, confie-t-il.

Mais Mory Kanté ne se contente pas de la musique traditionnelle, il l’adapte et y ajoute des rythmes funk et rock, reprenant tantôt des standards internationaux en version acoustique mandingue. Sa réputation arrive bientôt aux oreilles de Gérard Chess, le boss du label américain Ebony Records représenté en Côte d’Ivoire par l’ingénieur du son sénégalais Abdoulaye Soumaré qui a collaboré avec Stevie Wonder. En 1981, ils décident alors de réaliser Courougnégné (Krougnégné), un premier album au beat mandingo-funk marqué par une voix percutante et une kora jouée dans une gamme tantôt pentatonique, tantôt heptatonique. Le titre “Courougnégné” est alors diffusé à longueur de journée sur les ondes des radios africaines et dans les discothèques, devenant ainsi son premier tube continental. Un an plus tard, il est à la tête d’une troupe de 75 artistes qui se produit avec succès au CCF (Centre Culturel Français) d’Abidjan. Sort la même année N’Diarabi (Balani / Mélodie), un second disque plus ou moins fidèle à la rythmique du premier (il sera remixé en 1993 dans une version plus électrique).

Mory Kanté, Jacques Higelin et Youssou Ndour

 

Mory Kanté veut tenter sa chance en Europe après sa rencontre musicale, en 1984 à Abidjan, avec l’auteur-compositeur-interprète et comédien français Jacques Higelin. A Paris, sa carrière démarre en flèche : sortie, quelques jours avant son premier concert parisien en octobre 1984 à la Mutualité, de A Paris, un album de 4 titres produit par Aboudou Lassissi (Sacodis) et comprenant déjà une version funk de “Yéké Yéké”. Quelques mois plus tard, A Paris est produit et remixé par Mory Kanté “himself” pour Yaba Music/Barclay du regretté Philippe Constantin, avec deux inédits (“Ça va là-bas”, “Soumba”) et une seconde version de “Yéké Yéké” marquée une rythmique basse funk soutenue, des lignes mélodiques mandingues brèves de sa kora électrique et des riffs entiers de section cuivre (sax, trompettes) beaucoup plus incisifs. La capitale française découvre alors le mandingofunk du griot guinéen.

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Vite médiatisé, Mory Kanté est dans tous les bons coups : des lignes mandingues de sa kora dans le maxi 45T Tam-tam pour l’Ethiopie (1985) destiné aux Ethiopiens frappés par la famine, La Mutualité, New Morning, Printemps de Bourges, Nancy Jazz Pulsations, Caravane Jéricho pour la libération de Fela Anikulapo Kuti alors en prison… Le 1er janvier 1985, Mory kanté est invité à l’Olympia à Paris par le chanteur français Jacques Higelin qu’il avait connu quelques années auparavant en Afrique. Puis du 12 septembre au 12 octobre, en compagnie de Youssou Ndour, au Palais Omnisport de Paris – Bercy, devant 16.000 personnes.

 

Paris : la montée en flèche

Bientôt, Mory Kanté enrichit son groupe de plusieurs artistes dont la saxophoniste suédoise Sofi Hellborg et la pianiste américaine Sherry Margolin. Quelques mois plus tard, il glisse des riffs rock de sa kora dans Electric Africa de Manu Dibango avec qui il s’était rendu en Ethiopie pour remettre la totalité de la vente du disque. La montée en flèche continue avec une récompense aux “Victoires de la Musique” en France pour l’album 10 Cola Nuts (10 noix de cola) coproduit par le pianiste américain David Sancious (Barclay – 1986). S’ensuit une longue tournée qui le mène sur trois continents (Europe, Afrique, Amérique) où ses titres comme “Kebendo”, “Kouma”, “Teri ya”, “Lele” ou “Nonsense (Apartheid)” font le bonheur des mélomanes.

Yéké Yéké : un méga tube planétaire

L’année 1987 voit Mory Kanté enregistrer l’album Akwaba Beach (Barclay) et devenir le premier djéli (griot) guinéen à vendre plus d’un million de singles, atteignant ainsi les sommets des charts européens en 1988 avec “Yéké Yéké”, classé N° 1 au Top 50 français et au classement paneuropéen du Billboard américain. Composé et arrangé par ses soins et produit par Nick Patrick, “Yéké Yéké” représente un pont culturel entre l’Occident et l’Afrique et entraîne l’intérêt des medias pour les artistes du continent. Repris en hébreu et en chinois, il sera classé N°1 de tous les charts européens. Mory Kanté fait entendre dans le monde entier sa musique mandingue (malinkée) dont la section rythmique et les lignes brèves de sa kora électrique à 22 cordes (il en a rajouté une) accentuent le tempo aux sonorités poprock. Il devient alors, après Touré Kunda, l’une des locomotives africaines de ce que l’on nomme “musiques du monde” ou “world music”, dans la deuxième moitié des années 1980. Les médias le surnomment alors “le griot électrique” ou “le rocker mandingue”. En 1989, Mory Kanté, accompagné d’une symphonie guinéenne de 130 djélis instrumentistes, chanteuses et chanteurs, est invité à l’inauguration de la Grande Arche de La Défense conçue par l’architecte Otto von Spreckelsen.

Touma, le moment

Dans l’album Touma (Wimowe) (le moment) sorti chez Barclay en 1990, Mory Kanté combine la musique mandingue (malinkée) aux sonorités poprock, avec en intro des voix sud-africaines “mbube” ou “isicathamiya” (embuscade en zoulou) données par Pat Sefolosha (Malopoets) et Ray Phiri (leader de Stimela). On y entend la guitare latine de Carlos Santana, le balafon d’ El Hadj Djéli Sory Kouyaté et la batterie de Jeff Porcaro. Le 14 juillet de la même année, Mory Kanté se produit en compagnie de l’Algérien Khaled, de la Française Patricia Kass et des Antillais de Kassav’ au Central Park à New York devant 300.000 personnes. Quelques mois plus tard, il est sur la scène de la célèbre salle Apollo Theater à Harlem (New York City).

Villa Nongho

La descente aux enfers commence quand le rocker mandingue se lance en 1993 dans le rêve un peu fou d’une cité musicale baptisée “Villa Nongho”, du nom d’un quartier de Conakry (Guinée) où elle est construite. Il commence par y installer un studio d’enregistrement dans lequel il réalise le démo de son album Nongo Village sorti en 1994 chez Barclay. Cet album comprenant des titres comme “La tension”, “M’bara Yarabi”, “Toubabou danger”, “Mans aya” ou “Bonjour mon cher” lui vaut, la même année le “Griot d’Or” à Paris. Mais l’artiste qui a investit une grande partie de ses revenus dans ce projet magnifique s’engluera dans les tracasseries de l’administration guinéenne. Il se consolera d’un remix de “Yéké Yéké” dans une version housetechno, d’une tournée (Europe, Canada) et d’un second trophée, le “Prix Kilimandjaro” de la radio Africa N°1. Deux ans après la sortie de Tatebola (Misslin – 1996), le titre de l’album est choisi par CFI (Canal France International) comme générique de La Coupe du Monde 1998 en France. Mais l’obsession de Mory Kanté est de mener à bien son projet : “Je veux contribuer à industrialiser la musique et la culture africaine à travers ce projet. Il comprendra une grande école de musique, où seront enseignés les instruments traditionnels et où seront dispensés des stages de formation aux métiers du spectacle”, explique l’artiste.

Mory l’ambassadeur

Un an après son invitation, en décembre 1999, au Grand Jubilé de l’An 2000 au Vatican à Rome (Italie), en présence du pape Jean-Paul II, Mory Kanté participe à la bande originale du film “The Beach” (La plage) de Leonardo DiCaprio (cf. “Titanic”) avec un remix de “Yéké Yéké”. Ces expériences cinématographique et surtout spirituelle (pour un musulman) sont suivies de l’enregistrement de Tamala – Le Voyageur (Sono/Next Music) dont un duo avec Shola Ama (“Nin Kadi”) et d’une nomination comme “Ambassadeur de la FAO” (Organisation des Nations Unies pour l’Alimentation et l’Agriculture) à l’occasion de la Journée Mondiale de l’Alimentation le 16 octobre 2001. La même année, il réalise une tournée d’une cinquantaine de dates dont Johannesbourg et une visite à Roben Island où Nelson Mandela fut emprisonné (Afrique du Sud), Rabat et Casablanca (Maroc), Fête de la Musique à Nice (France), soirée de l’ONU à Genève et une participation au concert Téléfood organisé par la FAO à Johannesbourg. En 2002, Barclay sort un Best of Mory Kanté dont certains de ses hits comme “Mogo Djolo”, “Yéké Yéké”, “Krougnégné”, “Soumba” ou encore “Touma”, avec en intro, des vocaux sud-africains “mbube” ou “isicathamiya” (embuscade en zoulou).

Mory, l’african tonik

En 2003, Mory Kanté démarre une grande tournée internationale de 120 concerts dans plus de 25 pays et crée un spectacle acoustique inédit pour la fondation Dunya. Suite à cette expérience enrichissante et décidé à quitter le costume de “rocker mandingue” qui lui colle à la peau, Mory Kanté retourne à ses racines en enregistrant pour Riverboat Records / World Music Network , Sabou (2004), un album acoustique ancré dans la tradition guinéenne et mettant en valeur la poésie et les instruments traditionnels de l’ex Empire du Mandé : “fulé” (flûte), balafon, ngoni, guitare acoustique, djembé et des chœurs typiquement mandingues. L’année suivante, il participe au DVD Later with Jools Holland : World avec le Sénégalais Youssou Ndour, la Malienne Oumou Sangaré et le Cubain Ibrahim Ferrer. Mory Kanté apparaît aussi dans plusieurs albums dont Funky House (Kiss Does) et Le Rail Band feat. Mory Kanté (Classic Titles) en 2006. Artiste éclectique, il pose en 2008 ses cordes vocales et instrumentales (kora) dans African Tonik de Mohamed Lamine, Mokobé et DJ Arafat : un morceau rap teinté de coupé-décalé, de raï et de sonorités mandingues avec des riffs de la kora électrique.

Ensuite, Mory Kanté participe en juillet (guitare, voix) au Festival Jazz de Bonneville en France comme finaliste du Tremplin Jazz, avec le Patatas Chipas Club, un collectif français de 10 musiciens d’origines diverses et adepte de jazz, hip hop et funk. En juillet 2009, Mory Kanté donne un concert mémorable à l’esplanade Ryad el Feth dans le cadre du Festival Panafricain d’Alger. Un an plus tard, il enflamme la 46ème édition du Festival International de Carthage en Tunisie. L’année 2012 le voit sortir chez Discograph La Guinéenne, un album dédié aux femmes guinéennes et fidèle à son style musical : une fusion de musique mandingue, de funk, de soul et d’électro

Grands Prix Sacem

Le 27 novembre 2017 à Paris, en France, Mory Kanté est sacré aux Grands Prix Sacem, dans la catégorie « Grand Prix des musiques du monde ».
Décernés chaque année, Les Grands Prix Sacem récompensent des auteurs, compositeurs et éditeurs, membres de la Sacem.

Le père de « Yéké Yéké » n’est plus

Artiste éclectique célébré dans le monde entier et ayant contribué à la reconnaissance internationale des musiques urbaines africaines dans les années 1980, Mory Kanté
est décédé le vendredi 22 mai 2020 à Conakry, dans son pays natal, suite à une longue maladie (diabète). Il avait 70 ans.

Saint-Denis – Seine-Saint-Denis

A propos de Mory Kanté qui a vécu à Saint-Denis, en Seine-Saint-Denis, deux témoins livrent leur regard sur son rapport à la commune :
« Mory Kanté habitait la cité juste en face de chez ma mère. Il y a une vingtaine d’années quand il a joué au Théâtre Gérard Philippe, il a arrêté son concert et a dit, je profite que Monsieur le maire soit là pour demander un appartement à mon ami qui est dans le besoin. »
** Salah – Directeur de la salle Ligne 13

 » Ça représente mon enfance, ma mère s’appelle Kanté. Ses enfants, on les a tous connu et on a grandi avec ces morceaux. C’est une fierté. »
** Yaya Bakayoko – Responsable du Pôle hip-hop et des Musiques urbaines de Saint-Denis

*Sources : https://www.morykante.com

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Nago Seck

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