Septième fils d’un pasteur protestant, Chief Udoh Essiet fait ses premières armes de percussionniste sur des boîtes de conserve avant de s’initier à l’“abodom” surnommé le téléphone africain, un instrument typiquement nigérian, qui enflamme les danseurs lors des grandes fêtes traditionnelles. Il excelle aussi dans divers autres tambours traditionnels nigérians : éssé, bata, dundun (talking drum), agnon, iailou (le plus grand), nkorok, congas…
Sir Victor Olaiya, le mentor
La guerre civile entre le Biafra et le Nigeria (1967-1970) disperse sa famille et le contraint de partir à Lagos. Par hasard, alors qu’il vend des cure-dents dans la rue, il rencontre le trompettiste Victor Olaiya, un maître du highlife qui joue aujourd’hui encore au Stadium Hotel à Lagos et qui a joué un rôle important dans la vie de nombreuses stars de la musique africaine dont Fela Anikulapo Kuti. Très vite, Udoh Essiet est adopté par la famille d’Olaiya et accompagne le maître à ses concerts en portant sa trompette, avant que ce dernier ne l’autorise à jouer des maracas sur scène. Un soir où le joueur de congas est absent, Udoh le remplace. Une occasion rêvée pour le jeune percussionniste d’étaler son talent au sein du groupe Nkaima Traditional Dance Group en 1966. Mais il est encore tout petit et doit monter sur des caisses de bières pour atteindre la peau du tambour. Mais finalement l’essai s’avère concluant et le percussionniste en titre ne retrouvera jamais sa place.
Définitivement intégré à l’orchestre, Chief Udoh Essiet commence à tourner, avec son mentor Victor Olaiya dans tout le du Nigeria en jouant aussi bien la musique populaire africaine que les versions revues et corrigées des grands succès du Rhythm & Blues. Pourtantn l’orchestre a bâti sa réputation grâce au highlife, un cocktail de guitare sèche style guitar-band de la musique de vin de palme, de chants traditionnels (Yoruba, Igbo,Haoussa…), de calypso des Caraïbes et du jazz, le swing de la grande époque. Udoh Essiet participe ainsi à l’enregistrement des titres « Oro Jesu » et « Aji Kemi » (1975). Durant cette période passée à côté de Victor Olaiya, Udoh Essiet rencontre et accompagne plusieurs autres vedettes de la scène highlife, dont E.T. Mensah MBE aka “King of Highlife”, Rex Williams, Rex Lawson.
L’afro-beat de Fela Kuti
Chief Udoh Essiet joue également avec King Sunny Ade, le “Roi de la juju” des Yoruba ainsi que d’autres musiciens du genre avant de rejoindre comme percussionniste soliste l’orchestre du créateur de l’afro-beat, Fela Anikulapo Kuti, avec lequel il restera trois ans. “Après mon départ du groupe, Fela n’a pu me remplacer immédiatement et s’est alors mis lui-même sur scène aux trois congas”. En 1980, Udoh Essiet est de l’aventure du disque Music Of Many Colours réalisé par Fela Anikulapo Kuti et l’auteur-compositeur, arrangeur, producteur, arrangeur, vibraphoniste et chanteur, Roy Ayers, une rencontre musicale entre l’afro-beat et le jazz américain. Il posera ensuite ses rythmiques sur divers autres albums de Fela, dont ITT – International Thief Thief (1979), Power Show (1980), Authority Stealing (1980), Original Sufferhead, Coffin For Head of State (1981), Unknown Soldier (1981), Perambulator (1983).
Ghetto Blaster, une aventure Française
En 1983, Stefan Mikhaël Blaëss et Romain Pugebet, tous deux musiciens français suggèrent à Pascal Imbert de les produire. Ce dernier leur propose alors de se rendre au Nigeria en voiture afin d’enregistrer à Lagos avec des amis musiciens. En compagnie de François Kotlarski (cameraman), Éric Munch (preneur de son), Isabelle Soto, Nathalie Vierney, Martin Meppiel et Stéphane Meppiel (producteur- réalisateur), ils entreprennent un « road movie » retraçant leur folle équipée. C’est la musique d’Udoh et d’autres musiciens locaux qui servira de bande son. Les bandes en main, les réalisateurs retournent en France où le film documentaire intitulé « Ghetto Blaster » sera diffusé avec succès sur une chaîne publique. Mais bientôt, les cinéastes décident alors de repartir au Nigeria à la recherche des musiciens qui vont vite former un groupe appelé naturellement Ghetto Blaster. C’est ainsi que Udoh Essiet (percussions), Willy NFor (basse, lead vocal), Frankie Ntohsong Dosan (claviers), Avom Archibonmg “Ringo” (batterie), Kiala Nzavotunga “Pepple” (guitare), Féfé Priso (saxophone alto), Betty Ayaba « Ahlin » (voix, chœurs) et Stefan Mikhaël Blaëss (guitare) se retrouvent bientôt sur une péniche des quais de Seine, près de la gare d’Austerlitz à Paris (France), précédés par leur réputation. Commence alors le défilé des journalistes et mélomanes pour écouter, comme dans un village africain, cette musique venue d’ailleurs, l’afro-beat – funk.
A la suite de leur passage à l’émission télévisée, « Les Enfants du Rock », sur Antenne 2 (actuelle France 2), Ghetto Blaster commence à tourner en France et en Europe. En 1984, le groupe enregistre, Efi Ogunle / Preacher Man, un premier Maxi 45T produit par le label Island Records de Chris Blackwell, le producteur de Bob Marley. Un an plus tard, sort People, un album afro-beat – funk flirtant avec le rock et soutenant des textes sur l’humanité, l’injustice sociale, les politiciens véreux ou l’unité africaine… En 1987, suite à des dissensions artistiques, Chief Udoh quitte le groupe. Un an après, Ghetto Blaster qui s’était agrandi avec l’arrivée de Roger Kom (sax ténor), Sylvie Etenna et Myriam Betty (voix, chœurs), se sépare et chacun poursuit une carrière personnelle. Après le décès de la chanteuse Betty Ayaba, noyée dans la Seine à la fin des années 1980, entre leur péniche et le quai, Ghetto Blaster perd un second membre en 1998, le bassiste Willy NFor. Il faudra attendre 1999, après plusieurs années de break, pour réécouter Ghetto Blaster nouvelle version, autour du guitariste Kiala Nzavotunga, du claviériste Frankie Ntohsong Dosan et de la chanteuse Myriam Betty.
Udoh & Sherry, retour aux Sources
Quant à Chief Udoh Essiet, il accompagne d’autres grands noms des musiques africaines, comme Mory Kanté, Salif Keïta, Kassé Mady Diabaté et Sorry Bamba, tous dépositaires de la musique mandingue. Et en 1989, il crée son propre groupe, Afrobeat Blaster, avec sa compagne Sherry Margolin, pianiste, chanteuse et sœur du guitariste et bluesman américain Bob Margolin. Sous l’impulsion de Chief Udoh Essiet à l’énergie débordante, Afrobeat Blaster s’oriente vers un highlife classique (dérivé de la musique de vin de palme), chanté en plusieurs langues nigérianes et en « pidgin » anglais. Ce style est gravé sur disque en 1991, No Condition Is Permanent, un album aux compositions originales. En 1999, année de la parution de son second opus, Time for Highlife, Chief Udoh Essiet tourne en France puis enflamme le public du Festival International de Louisiane à Lafayette, aux Etats-Unis (avril 1999). Depuis, Chief Udoh Essiet continue à collaborer avec divers artistes et à écumer les clubs de France, participant régulièrement, aux côtés de nombreux autres artistes, à Fela Day, l’hommage rendu annuellement au père de l’afro-beat, Fela Anikulapo Kuti, né le 15 octobre 1938 à Abeokuta et décédé du Sida le 2 août 1997 à Lagos, au Nigeria.
Afrobeat Highlife Crossing
En 2013, Chief Udoh Essiet lance un nouvel album, Afrobeat Highlife Crossing, un croisement de deux courants musicaux (nigérian et ghanéen), mais aussi un retour aux sources et un approfondissement de son style de prédilection, le highlife des origines que lui a transmis son maître, Sir Victor Olaiya…
Pantin – Seine-Saint-Denis
Installé depuis plusieurs années à Pantin, en Seine-Saint-Denis, Chief Udoh Essiet livre son regard sur sa commune : « Je me suis installé à Pantin en 1996 et je m’y sens chez moi. C’est très différent de Paris, les gens sont proches les uns des autres. Il n’y a pas de racisme. De temps en temps, je rencontrais Jacques Higelin dans un bar près du Studio Harryson avant qu’il ne disparaisse. Paix à son âme. A Pantin, il y a cet esprit de partage de la musique avec des gens qui n’ont pas beaucoup d’argent, c’est important pour les jeunes. »
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